Mobilité: plus ou mieux?

ouvrier à vélo

patron à vélo

(2 dessins de Sempé tirés d’une petite histoire sociale de la mobilité; source: carfree.free.fr)

Pour leur Uni d’été (21-22.08.10, Fribourg), les Verts romands m’ont demandé d’oublier un peu les problèmes immédiats de transports et de leur financement pour aborder les paradoxes de la mobilité en général. Bien entendu, je me suis empressé de relire Ivan Illich et ses réflexions sur la “vitesse généralisée” (Energie et Equité, 1973). L’avénement de la voiture et de sa suprématie a permis d’accroître considérablement la vitesse et la distance de nos déplacements. A l’époque, l’Américain moyen parcourt 10’000 km/an en voiture. Mais si l’on ajoute au temps de déplacement celui consacré à gagner de quoi payer le leasing, les assurances, l’essence, etc. il lui en coûte 1’600 heures, soit une “vitesse généralisée” de 6 km/h. Guère plus vite qu’à pieds et trois fois plus lentement qu’à vélo. Où est le progrès? Est-il possible de dépasser cette valeur “réelle” avec des routes plus larges et des trains plus rapides?

40 ans plus tard, cette question continue de déranger. Principalement parce que le raisonnement est implacable et sans faille. Spontanément, chacun refait le calcul et retombe sur un chiffre du même ordre de grandeur. Certains auteurs ont appliqué le même raisonnement au vélo (qu’il faut aussi acheter et entretenir avec le fruit de son travail), mais cela ne modifie pas le classement du point de vue de la “vitesse généralisée”.

Ce n’est d’ailleurs pas le seul paradoxe en ce qui concerne les transports individuels motorisés et la mobilité en général. Par exemple, le fait que la mobilité croisse avec le PIB n’empêche pas que la congestion coûte des milliards à l’économie. Et que dire de cette voiture qui symbolise notre liberté (d’une certaine manière notre bien-être) tout en dégradant notre qualité de vie (bouchons, bruit, pollution, accidents)?

Compte tenu de ces paradoxes et limites, les Verts doivent-ils soutenir la grande vitesse dans les chemins de fer parce que les transports publics sont plus écologiques et qu’ils devraient être plus performants que la voiture pour se tailler une plus grosse part de marché? Sous la forme de constats et de questions (parfois impertinentes), j’ai tenté de montrer que l’urgence était ailleurs. A commencer par la défense des “petites lignes” dans les régions périphériques (que le Conseil fédéral veut sacrifier pour économiser CHF 15 mios par an!), l’entretien du réseau ferroviaire existant et l’achèvement du projet Rail 2000.

Voir le diaporama de ma conférence du 21.08.10 (pdf, 402 Ko)

8 réflexions au sujet de « Mobilité: plus ou mieux? »

  1. J’ai regardé avec attention votre présentation. Mais, j’ai du mal à  cerner vos arguments “contre” la grande vitesse en Suisse. J’en déduis qu’il s’agit de la position du parti “verts”… -> regrettable.

    De part son relief accidenté, la carte isochrone de la Suisse est de fait très singulière, avec ou sans grande vitesse. J’habite à  la campagne et donc je trouve normal de n’avoir pas de gare devant ma porte, de ne pas avoir tout de suite de la fibre optique, etc… Je n’ai pas l’impression de vivre une inégalité de traitement avec les citadins. Je ne partage donc pas du tout votre argument sur la question.

    Dire de la grande vitesse qu’elle n’est pas compatible avec l’horaire cadencé est selon moi inexact. Prenons l’exemple de l’axe ferrovière Genève-Lausanne -> Cet axe est saturé et pas efficient car 2 voies ne permettent pas une vitesse commerciale et une cadence suffisante à  satisfaire l’attente et la demande des usagers.

    En lieu et place de créer une 3ème ou une 4ème voie (réflexion actuelle et démarches en cours ) , au vu de l’investissement que cela suppose, il est indispensable de repenser la desserte ferrovière entre ces 2 villes et plus généralement entre les grandes villes du pays. Il est donc, selon moi, urgent de considérer scrupuleusement la possibilité de faire en lieu et place des 3 et 4 voies classiques , 2 nouveaux tracés LGV reliant les deux villes Lausanne /Genève ( tracé autoroute?) et plus généralement une desserte LGV entre les villes du plateau 8 en évitant soigneusement les villes de moyennes importance comme Fribourg, Olten, etc…
    A partir du moment où il y a 4 voies entre Ls/Ge et plus généralement où la grande vitesse signifie la création de nouvelles voies dédiées (comme en France), l’horaire cadencé n’est pas menacé.

    La grande vitesse concurrence directement la voiture et l’avion sur les distances de moins de 1000km, les IC qui roulent la plupart du temps entre 100km et 160km nettement moins.

    Bien que j’attendais les verts se positionner et militer pour des LGV en Suisse, les seuls qui soutiennent cette idée sont radicaux (+ Gygi ex-socialiste), Ouestrail, les verts, les socialistes sont plutôt contre-> déconcertant!

  2. Dans la conférence qui a suivi, Vincent Kaufmann, professeur à  l’EPFL, nous a parlé des “grands mobiles”, à  savoir ces jeunes, souvent célibataires, bien formés et occupant des postes à  responsabilité parfois sur de courtes périodes et disposés à  navetter 2 voire 4 heures par jour dans les trains Grandes Lignes. Cette catégorie représenterait 5% de la clientèle CFF, mais “consommerait” 24% des sièges-kilomètres. En d’autres termes, on pourrait leur imputer les trains bondés et l’effondrement de la recette par kilomètre de l’AG qui devra donc nécessairement augmenter (ce qui pourrait conduire les utilisateurs “modérés” à  y renoncer). La grande vitesse contribuerait certainement à  favoriser encore plus cette clientèle au détriment des “petits mobiles”.

    Utiliser les surfaces déjà  bétonnées du réseau autoroutier pour construire des LGV peut séduire. Je ne suis pas sûr que ce soit moins cher ou moins problématique du point de vue de l’aménagement du territoire. Surtout, les autoroutres passant rarement par les gares ferroviaires des centres villes, je ne vois pas très bien comment quitter l’autoroute pour pénétrer dans le coeur des villes. A moins que l’idée soit de créer, comme en France, de nouvelles gares LGV à  la périphérie, non raccordées au réseau des TP mais bien dotées en immenses P+R…

  3. Le premier paragraphe de votre réponse est symptômatique d’une certaine écologie politique que je ne partage malheureusement pas. Ces 5% de “grands mobiles” que vous décriez, qui sont responsables de surconsommation en siège-kilomètres, augurent des besoins en mobilité de la clientèle de demain. Limiter la mobilité de chacun est une utopie, selon moi. L’écologie politique devrait soutenir le transfert des usagers de la route et du ciel sur le rail (qui reste le moyen le moins énergivore, même à  grande vitesse… ) en adaptant les infrastructures de ce dernier de telle manière à  le rendre plus efficace que la voiture et l’avion sur certaines liaisons. Si Rail 2000/2030 y parvient (parviendra) pour les “petits mobiles” , ce n’est (sera) pas le cas pour les liaisons entre grandes villes. Dommage, quel manque d’ambition!

    Je pense que vous avez tord d’opposer les “petits mobiles” au “grands mobiles”, la Suisse devrait réaliser des infrastructures qui satisfassent les deux clientèles ( d’ailleurs s’agit-il vraiment de deux clientèles différentes?)

    En effet, à  quand une diminution drastique des vols Genève-Zuerich remplacés par une desserte ferrovière digne de ce nom, comme ce qui s’est passé en France sur les lignes Paris-Bruxelles, Paris-Lille, Paris-Lyon, Paris- Marseille, etc.. gr ce aux TGV français (TGV AIR) ?

  4. Monsieur le Conseiller d’Etat,

    L’idée de construire une LGV suivant le tracé de l’autoroute GE-LS me paraît judicieuse, même si ce ne serait probablement pas pour demain. Il y a quelques temps, un ingénieur zurichois proposait de construire une ligne ultrarapide à  sustentation magnétique €“ type Transrapid ou Maglev, qui relierait Genève à  Lausanne en 10 minutes, suivant l’autoroute. Un projet similaire au génial projet SwissMetro, mais en surface et moins coûteux. Afin de gagner de la place et d’éviter des expropriations, on pourrait envisager de construire ce train au-dessus de l’autoroute. On construirait un Transrapid à  2 voies, ce qui permettrait alors une cadence élevée, p.ex. de 5-10 minutes, en prévision de l’augmentation constante des voyageurs. Les 2 voies seraient recouvertes sur toute leur longueur par un toit muni de panneaux solaires, totalisant quelques centaines de milliers m2 de surface (env. 100 kWh/m2), pour fournir une partie de l’énergie nécessaire.

    Le coût de l’infrastructure est évidemment très élevé, de l’ordre de €¦ 10 mias de francs, mais qui pourrait être pris en charge essentiellement par des fonds privés. Ce système serait partiellement financé par de la publicité (dans les rames, dans les stations, sur des piliers soutenant la structure et placés à  des endroits stratégiques). Les stations seraient vastes, modernes, lumineuses, pouvant accueillir de nombreux voyageurs et commerces, restaurants, bistrots, etc., bien reliées au TP et abritant un P+R. Bref, en se donnant les moyens de l’ambition de la métropole lémanique. Ce train ne traverserait pas la magnifique région du Lavaux et ne devrait à  mon sens pas trop choquer dans le paysage.

    Une nouvelle station lausannoise serait créée à  la Blécherette, reliée au centre-ville par le futur métro/tram et des TP la reliant aux communes de l’Ouest lausannois. Cela permettrait notamment de développer fortement le plateau de la Blécherette et ses alentours (quartier d’affaire, entreprises de hautes technologies et à  haute valeur ajoutée, logements et bureaux en hauteur, centres de loisirs, restaurants, interface de TP, etc.), de booster l’économie nord lausannoise (en complément à  Métamorphose), d’alléger les réseaux CFF et autoroutier entre les deux villes, d’attirer des curieux d’autres régions. Ce serait ainsi un plus pour les promotions économique et touristique de la région. Lausanne se retrouverait alors à  une poignée de minutes d’un aéroport international, où la station genevoise pourrait être construite, l’autoroute passant juste devant l’AIG, lui-même relié par les TP au centre-ville.

    Si ce tronçon pilote connaît suffisamment de succès, on pourrait envisager par la suite de prolonger la ligne jusqu’à  Berne et Zà¼rich. Sur sol vaudois, le tracé transiterait par le Gros-de-Vaud et la Broye, via des ponts et des viaducs. On ferait l’économie d’un long et coûteux tunnel dans le Jorat, puisque la Blécherette est bien plus haute en altitude que la gare CFF, et le tracé plus direct. Cette dernière disposerait d’une liaison rapide (

  5. Si je vous comprends bien, nous sommes tous des “grands mobiles” en puissance et le report modal de la route au rail passe inévitablement par une croissance constante des distances parcourures. Je ne partage pas cette opinion.

    Vous dites vouloir la réalisation des infrastructures permettant de satisfaire les deux clientèles. C’est malheureusement oublier le principe de réalité. Les moyens disponibles étant déjà  insuffisants pour offrir une desserte convenable et des vitesses suffisantes pour consolider l’horaire cadencé, si la priorité politique était donnée à  la grande vitesse, cela se ferait nécessairement au détriment des régions périphériques et des “petits mobiles”. C’est d’ailleurs déjà  le cas puisque le Conseil fédéral propose de supprimer son financement pour 170 lignes régionales, avant même de proposer des solutions de financement pour Rail 2030.

  6. Les statistiques montrent que les distances parcourues au quotiden + annuelles ont augmenté sans cesse de décennie en décennie depuis le XXème siècle. Disposez-vous d’études sérieuses qui indiquent que cette tendance s’inversera dans le futur?

    La suppression du subventionnement des 170 lignes régionales sera sans doute et heureusement revue au vu de la bonne santé soudaine des finances fédérales. Il est fort à  parier que cette coupe, difficilement justifiable,qui va à  l’encontre de la politique que vous menez sera abandonnée.

    Il faut considérer la création de liaisons LGV entre les villes du plateau suisse comme un investissement important mais dont l’exploitation a de bonnes chances d’être plus rentable que n’importe qu’elle autre ligne en Suisse, d’où la possibilité qu’évoque Serge Chiaradia d’avoir un apport de fonds privés, ce qu’une 3/4 voie classique n’est sans doute pas en mesure de bénéficier.

    Vous êtes et je vous en félicite, un fervent défenseur de la création d’une troisième/quatrième voie “classique” entre Lausanne et Genève. Le besoin d’avoir 3/4 voies entre Lausanne et Genève repose sur le fait que les RE/RER(cause arrêts intermédiaires) ne circulent pas à  la même vitesse que les IR et IC. Sans possibilité de ségrégation de ces 2 types de rames, l’offre entre ces deux villes ne peut être étoffée et optimisée . Dès lors, à  partir du moment où on accepte de poser 2 voies supplémentaires pour fluidifier le traffic ferrovière, pourquoi ne pas réaliser directement 2 voies LGV sur un nouveau tracé (autoroute ou autre)?

    Cher Serge Chiaradia,

    Il faut aussi considérer le fait que la technologie MAGLEV/Transrapid a quelques inconvénients:

    -Coût de réalisation de l’infrastructure beaucoup plus élevé qu’une ligne LGV classique
    -Atteinte au paysage en général plus importante (bétonnage-> pour la solution aérienne)
    -Consommation energétique en exploitation env. 1,5 plus important que les AGV/TGV
    -Incompatibilité technique entre ces lignes “transrapid/maglev” et le réseau existant/futur des LGV européennes.

  7. N’étant pas moi-même un “grand mobile”, je n’aurais qu’un modeste avantage à  voir ces projets de grande vitesse se réaliser. Ma t che consiste surtout à  améliorer nos systèmes de transport là  où le rapport coût/utilité est le meilleur, sachant que les moyens financiers à  disposition sont 4 ou 5 fois inférieurs aux besoins.

    Mais j’apprécie et reste fasciné par ces gens qui, comme vous, se passionnent pour des projets futuristes, dessinent des cartes, imaginent des tracés et se projettent dans le futur…

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