Quand archéo rime avec vélo…

(source: http://www.flickr.com/photos/radiomagch/4738760837/)

Le 29 juin 2012, afin que mon “pot de départ” ne soit pas trop lourd, j’ai invité Laurent Flutsch, archéologue, directeur du Musée romain de Vidy et humoriste, à tenir le rôle de Monsieur Loyal. Dans le monde du cirque, Monsieur Loyal est le maître de la piste, le chef d’orchestre des numéros, particulièrement des entrées de clowns. L’ordre d’apparition de ces derniers était le suivant: Marianne Huguenin (Syndique de Renens, présidente du Schéma directeur de l’Ouest lausannois, égérie du POP, surtout une grande dame pour laquelle les gens sont au coeur de l’action politique), Pierre-Yves Maillard (nouveau président du Conseil d’Etat, patron incontesté de la Gauche vaudoise, un allié de poids et mon camarade depuis huit ans), Adèle Thorens (nouvelle co-présidente des Verts suisses, promotrice de l’économie de fonctionnalité et, indirectement, de La Bonne Combine), Luc Recordon (l’homme sans lequel je n’aurais certainement jamais fait de politique et qui m’a fait comprendre le principe de “naturalisation des idées” que j’applique avec ferveur depuis des années) et, enfin, mécol. Les discours des uns et des autres ne resteront gravés que dans ma mémoire… Cependant, Laurent Flutsch a eu l’amabilité de me transmettre son texte avec l’autorisation de le reproduire ci-dessous…

En 2003, le dimanche de mon élection, à l’issue d’un duel inégal au deuxième tour avec François de Siebenthal, les résultats promettaient de tomber assez rapidement en début d’après-midi. Comment tuer le temps entre l’annonce des résultats et l’apéritif? L’idée s’est alors imposée d’organiser un cortège festif, selon un parcours assez long et avec un petit plus culturel. C’est ainsi que j’avais proposé d’aller à Vidy au Musée romain, où Laurent Flutsch avait accueilli la troupe des fans et amis avec l’humour et l’amabilité qui le caractérisent… Il était naturel que je fasse à nouveau appel à ses talents au moment de quitter mes fonctions en 2012…

Adieux de François Marthaler, théâtre Kléber-Méleau, 29 juin 2012

Mesdames et Messieurs,

Jusqu’ici, y a-t-il des questions ?

Tel n’est pas le cas, il faut croire que tout est clair.

Bien.

Mesdames et Messieurs, il y a 8 ans, la planète était gravement menacée. Les ressources naturelles étaient en voie d’épuisement, les inégalités se creusaient encore plus, toujours plus, entre l’opulence des pays industrialisés et la misère famélique des autres. Les multinationales prédatrices et la spéculation effrénée régentaient le monde avec la complicité active des banques suisses. Les forêts primaires disparaissaient sous le cambouis des bulldozers pour faire place au soja OGM destiné à engraisser des bœufs américains et des poulets de batterie hongrois (CHF 9.90 à la Migros), ou aux palmiers à huile pour produits Nestlé. Les firmes agrochimiques brevetaient la vie et asservissaient les petits producteurs. Les forages, les exploitations minières et les barrages géants ruinaient des biotopes et des populations entières, 25 000 espèces vivantes s’éteignaient chaque année, les océans étaient vidés de leurs habitants et emplis de plastique, les ruches étaient décimées, le bétonnage du paysage s’aggravait, le dérèglement climatique s’accélérait de façon catastrophique, l’inertie des gouvernements asservis à l’économie entraînait la Terre et l’humanité au désastre. La situation paraissait alors totalement désespérée.

Mais ça, c’était il y a 8 ans, en 2004. C’est alors que fut élu l’homme que nous célébrons aujourd’hui. Un homme qui, grâce à son action déterminée et salutaire, a su protéger le paysage en restreignant la pose de panneaux solaires disgracieux.

Bien sûr, il reste encore deux ou trois tout petits détails à régler avant de sauver définitivement la planète. Mais François Marthaler, avec les Verts vaudois, a fait l’essentiel. En 8 ans, il a su inverser le cours des choses, enrayer le désastre annoncé et, donc, sauver la Terre, la biodiversité, l’environnement et l’humanité. En plus modeste, évidemment.

Qui ne peut ne peut, les choses sont ce qu’elles sont. C’est un peu bête, comme formule, « les choses sont ce qu’elles sont ». Mais faut ce qu’y faut.

Sur cette note d’optimisme débridé, l’heure est venue de passer la parole à un raisinet. Oui, si on dit que les Verts sont des pastèques, verts à l’extérieur et rouges à l’intérieur, Marianne Huguenin, donc, c’est plutôt du raisinet.

Vaudois, un nouveau jour se lève… et demain, l’Internationale sera le genre humain !

Et si quelqu’un a su montrer la voie de la fraternité internationale, c’est bien Marianne Huguenin. Visionnaire comme pas deux, elle a su, bien avant les pays de la zone euro et avant le reste du monde, pratiquer personnellement une générosité solidaire envers la détresse grecque. Raison pour laquelle ce n’est pas à la conseillère nationale Marianne Huguenin que je cède la place, mais à la syndique de Renens.

Marianne Huguenin…

Après Marianne Huguenin qui je crois est plutôt de gauche, on va changer maintenant de registre avec le président tout frais du canton, Pierre-Yves Maillard, qui se situe à l’autre bout de l’échiquier politique.

Ceux qui comme moi l’ignoraient ont en effet appris mercredi soir en écoutant La Première que Pierre-Yves Maillard a un « instinct droitier ». Que s’il joue de la gauche, c’est parce qu’il a « son appui à droite ». On parle de football, bien entendu, mais enfin ça fait drôle quand même.

Du coup, on n’est plus sûr de rien. D’autant que Pierre-Yves Maillard est un footballeur, et que le football, c’est quand même le seul sport où on apprend tout de suite à mentir effrontément. On commet une faute grossière devant la Terre entière et aussitôt on crie « j’ai rien fait ! » On a à peine mis la balle dehors soi-même qu’on lève déjà la main pour réclamer la touche.

On a donc appris à la radio que Pierre-Yves Maillard rêvait d’être commentateur sportif. C’est une pratique oratoire très noble. D’ailleurs je n’ai jamais compris pourquoi les autres journalistes ne s’en inspirent pas. C’est vrai, quoi ! Les commentateurs sportifs, eux, ils savent montrer à quel point ce qu’ils racontent est capital !

La balle est interceptée par Pirlo l’arbitre laisse jouer et c’est reparti du milieu du terrain avec un contre, ils sont à 4 contre 4 attention c’est dangereux !!!

Tandis qu’un journaliste normal, il annonce des nouvelles sur un ton désespérément neutre : nouvelle journée de répression sanglante à Damas où les blindés de l’armée syrienne ont lancé une offensive dans un quartier populaire … on voit bien que par rapport au foot ce n’est pas important du tout.

Pourquoi les journalistes normaux n’imitent pas les commentateurs sportifs, mystère. Ça aurait quand même une autre portée : la direction de l’UDC suisse réunie aujourd’hui à Niederbipp a décidé de lancer une initiative populaire sur l’immigration attention c’est dangereux !!! Ou bien : Berset tente un retourné acrobatique sur le terrain des réseaux de soins mais il est contré par Maillard, Berset tente de botter en touche mais Maillard le tacle et reprend l’avantage, il dégage et oui !!! Il marque !!! Alors c’est une réussite magnifique sur le score sans appel de 76% et même, oui, oui, 92,1% dans le canton de Vaud, un score soviétique !!!

Ça aurait quand même une autre gueule.

Bon, Monsieur le Président, à vous la tribune.

Pierre-Yves Maillard…

Frères et sœurs,

Surtout sœurs,

Il y a quatre ans, la Suisse était encore en pleine préhistoire. Même le parti des Verts était encore englué dans les ténèbres d’une barbarie sans nom. En ces temps obscurs et sauvages, le progrès était brutalement étouffé par les forces souterraines venues du fond des âges rétrogrades. Il y a quatre ans en effet, Ueli Leuenberger était élu à la tête du parti. Un homme. Un scandale. Un affront, une insulte au cosmos.

Les femmes, en ce triste jour de 2008, ont une fois de plus été les victimes sacrificielles des ambitions masculines nourries par des millénaires de patriarcat catastrophique et meurtrier, des millénaires à regarder les mâles dominants se disputer le pouvoir en jouant à mesurer celui qui a la plus grosse force de conviction le plus loin, des millénaires où la supériorité bêtement musculaire du prétendu sexe fort a servi d’argument ultime à l’oppression.

Et enfin, enfin, l’hégémonie de la testostérone a pris fin. Durant quelques mois, les femmes ont même été majoritaires au Conseil fédéral. Et chez les Verts, deux femmes tiennent désormais les rênes, Adèle Thorens Goumaz et une Suisse allemande.

Merci ! Cette évolution bien trop tardive aura au moins l’avantage, du moins espérons-le, de nous épargner à l’avenir les mobilisations emblématiques de ces féministes de gauche qui soutenaient avec ferveur Ruth Metzler parce que c’est une femme, qui criaient leur révolte contre l’éviction de Ruth Metzler parce que c’est une femme, et qui criaient sûrement aussi leur révolte, mais silencieusement, contre l’expulsion des mères de famille roms par la même Ruth Metzler. Laquelle, d’ailleurs, n’était pas si dure que ça en matière d’asile, si on compare avec Simonetta Sommaruga.

Bref, désormais, grâce à Adèle Thorrens Goumaz et quelques autres, les femmes de gauche n’ont plus à défendre les chromosomes plutôt que les idées. Ça soulage.

Et puis disons-le : en y réfléchissant bien, c’est là encore l’avenir de la planète qui est en jeu. Ni les sommets internationaux, ni les gouvernements, ni les ONG ne sont en mesure d’empêcher l’humanité d’aller droit dans le mur. Pour enrayer la bêtise humaine, pour que notre espèce arrête ses conneries, il n’y aurait qu’une seule solution, plus fondamentale et plus simple : que les femmes prennent le pouvoir partout. Qu’elles instaurent un matriarcat mondial, qu’elles mettent les hommes au pas pour leur apprendre à vivre. Le moment est donc venu de fonder le Mouvement gynocratique. Et de céder la parole à Adèle Thorrens Goumaz.

Adèle Thorens…

Donc, ces 8 dernières années, la cause de l’écologie a beaucoup progressé dans ce canton. Notamment grâce à de salutaires travaux routiers. On a un bien joli canton, des veaux, des vaches, des bouchons…

Mais il n’y a pas eu que ça, il y a eu l’isolation des bâtiments, enfin des tas de choses que François Marthaler pourra énumérer mieux que moi, je suis pas là pour établir le bilan ; 24heures dit qu’il est long comme un jour sans pain. Mais plus consistant, je suppose.

L’ennui, c’est que quand on essaie d’agir de façon responsable en faveur de l’écologie, c’est toujours assez frustrant. Parce qu’on n’est pas tout seul et que c’est compliqué. On connaît bien l’histoire au plan individuel : on met des ampoules à basse consommation, on éteint les stand-by, on achète des légumes bio et locaux, on mange moins de boeuf, on trie ses déchets, on fait des efforts soutenus durant toute l’année pour réduire son empreinte écologique ; puis, quand arrivent enfin les vacances, on prend l’avion. Ce qui anéantit absolument tout, et fait plonger son maigre petit bilan vert en plein dans le rouge.

A l’échelle d’un canton et d’une législature ou deux, c’est pareil sauf que c’est bien pire. On isole, on réglemente, on taxe, on incite, on encourage, on limite un peu les émissions de CO2. Et en même temps on fait venir, avec des cadeaux fiscaux, Monsanto et Vale, les entreprises les plus dangereuses et les plus dégueulasses de la planète. C’est malin !

Heureusement, François Marthaler n’a pas approuvé cette politique-là. Bon, il ne l’a pas dénoncée très bruyamment non plus, mais enfin qui ne peut ne peut.

Au moins, il n’a pas appuyé. Parce que sinon, Dieu sait : si on est prêt à tout pour quelques emplois, il reste encore quelques pollueurs et massacreurs de masse que Zoug n’a pas réussi à avoir !

C’est vrai, à Zoug ils ont pu obtenir Glencore et Xstrata, ça fait un peu mal, quand même. Ces boîtes-là seraient tellement mieux à Saint-Sulpice ou à Gimel, avec 10 ans d’exonération totale et quelques autres gâteries. Ça renforcerait tellement bien le tissu économique vaudois. Au lieu de ça, à qui profitent ces entreprises ? Au secteur zougois de la tourte au kirsch. C’est rageant.

Il faudrait un arbitrage au plan fédéral pour que les cantons puissent se répartir harmonieusement le pire du pire des multinationales. On compte donc ardemment sur Luc Recordon pour défendre efficacement cette noble cause des intérêts vaudois.

Luc Recordon…

Bon, ça se tire. Plus que Marthaler et après c’est bon. Adèle Thorrens Goumaz, Luc Recordon, François Marthaler. Un Vert ça va, trois Verts…

Avant de lui passer la parole, je dois quand même lui faire un aveu. C’est vrai, il m’a demandé de venir vaguement animer ce moment, sans se douter… Enfin voilà : j’habite un petit chalet à Chexbres, au-dessus de la route de la Corniche, juste au-dessus du nouveau palais de Philippe Leuba… Et… enfin bon : j’ai fait poser des panneaux solaires chez moi. Thermiques, thermiques, pas photovoltaïques !

Je suis désolé, j’ai cru bien faire. C’était avant 2004. J’ai pensé que c’était une bonne combine.

Bref. Trève de persiflage et d’ironie facile. C’est vrai que c’est facile, voire déloyal. Surtout avec l’écologie. Le vert est un mélange de bleu et de jaune, et quand on pense à l’avenir de la planète bleue, on rit jaune.

Donc, la situation est désespérée, c’est entendu. On ne peut rien y faire, sauf peut-être si les femmes prennent le pouvoir partout et corrigent les conneries des mâles, c’est clair et net. Mais il y a peu de chance que ça se fasse, hors de quelques soirées sado-maso.

Quoi qu’il en soit, en attendant le désastre final, ça fait quand même du bien, disons-le, d’avoir des responsables politiques qui n’ont pas que le mot croissance à la bouche, et pour qui le but ultime de l’action politique ne se décline pas en dividendes. Et ça fait du bien, aussi, d’avoir au pouvoir des gens qui ont d’autres ambitions que d’y rester à tout prix.

Bref : moi qui ai longuement hésité à voter Voiblet, je me dis que finalement, ça fait du bien d’avoir au pouvoir des gens bien. Tout simplement. Donc, Monsieur Marthaler, François, et ça vaut aussi pour les préopinants, merci. Grâce à vous tous, on a un bien joli canton, des veaux, des vaches, des moutons, du chamois, du brochet, du cygne. Du signe encourageant.

Il faut dire que dès son élection en 2004, François Marthaler a tout de suite fait preuve d’une clairvoyance admirable en célébrant son plébiscite au Musée romain de Lausanne-Vidy. C’est probablement ce qui m’a valu d’être ici ce soir. Il avait envie que la boucle soit bouclée ; et donc, je la boucle.

François Marthaler…

 

 

 

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