Référendum d’initiative citoyenne: bonne idée pour la France?

(Source: usbeketrica.com, 21.12.2018)

Double national franco-suisse par mariage, je suis atterré de voir dans quelle situation de blocage la France se trouve, aux plans social, économique, diplomatique et politique. Depuis le début de la crise des gilets jaunes, j’ai acquis la conviction que la Ve République est cliniquement morte et devrait faire place à une VIe République intégrant une forte dose de représentation proportionnelle et des outils de démocratie directe. Voir émerger le RIC (référendum d’initiative citoyenne) comme l’ultime revendication des gilets jaunes me rassure. Mais est-ce la seule solution?

Dans une interview accordée par Dominique Bourg à Usbek et Rica, publiée le 21.12.2018, on rappelle les contours de ce RIC. “Une proposition de loi qui obtiendrait 700’000 signatures devrait être discutée, complétée, amendée par l’Assemblée nationale, laquelle aurait alors l’obligation de la soumettre au vote de l’intégralité des Français”. La référence à la démocratie directe suisse étant de plus en plus souvent faite, une comparaison avec notre droit d’initiative montre une différence essentielle: si le nombre de signatures rapporté à la population (700’000 pour 65 millions d’habitants, soit 1,1%) est assez proche de celui qui prévaut en Suisse pour une initiative (100’000 pour 8,5 millions d’habitants, soit 1,2%), l’Assemblée fédérale suisse ne peut pas amender le texte, mais (dans la plupart des cas) recommander son rejet, avec ou sans contre-projet.

Mais, même dans cette forme plutôt dévoyée de cet instrument de démocratie directe, j’y suis favorable dans la mesure où cela est bien plus démocratique que les manifestations de quelques milliers ou dizaines de milliers de bonnets rouges, grévistes ou gilets jaunes qui, depuis des lustres, parviennent à bloquer la plupart des grandes réformes dont la France a besoin.

La proposition du RIC ne date pas de l’émergence du mouvement des gilets jaunes. Elle est notamment portée de longue date par l’association Article 3, qui veut modifier l’article topique de la constitution française:

“La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.”

en y ajoutant:

“La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum d’initiative citoyenne, en toutes matières y compris constitutionnelle et de ratification des traités ; cet article ne peut être modifié que par voie référendaire.

Le quotidien Libération du 21.12.2018 note que l’association Article 3  et le Comité de liaison pour l’initiative citoyenne (CLIC) n’ont pas apporté, au départ, leur soutien aux gilets jaunes: “Si cette manifestation était vraiment “citoyenne”, on y verrait des revendications “citoyennes” : le contrôle citoyen des taxes par exemple, ou mieux : le Référendum d’initiative citoyenne. Malheureusement, il semble que nous ne soyons que face à une protestation d’automobilistes qui s’inquiètent (à juste titre) pour leur pouvoir d’achat, mais qui ne réalisent pas encore la nécessité d’un contre-pouvoir citoyen.

Depuis peu, le ton a changé: “Puisque 80% des citoyens soutiennent les GJ ET puisque 80% des citoyens sont favorables au Référendum d’initiative citoyenne (RIC), c’est une occasion en or pour défendre cette idée simple et révolutionnaire.” (tweet d’Étienne Chouard du 25.11.2018)

Il semble que la roue se mette à tourner dans le bon sens… Toutefois, nous autres Suisses, savons qu’il est très rare (chez nous) qu’une initiative passe. En 125 ans, seules 22 d’entre elles ont passé la rampe, soit 10% des 225 initiatives soumises au peuple (sous déduction des 96 textes qui ont été retirés, selon swissinfo.ch). Et, même en tenant compte du fait que bon nombre d’initiatives ont en fait été adoptées sous la forme d’un contre-projet, on s’étonne que nos voisins n’aient pas plus d’attention à cet autre droit fondamental pour notre démocratie directe qu’est le droit de référendum.

En effet, dès qu’une loi touchant à un sujet important (droits humains, environnement, fiscalité, santé, etc.) est votée par une majorité des Chambres, un référendum est lancé par les adversaires d’un bord ou de l’autre. Selon swissinfo.ch, sur moins de 200 votations référendaires sur des textes de lois, seuls 78 ont été refusés (taux d’acceptation d’environ 60%).

A y regarder de plus près, cette épée de Damoclès du référendum est d’une grande efficacité pour produire des projets de lois équilibrés. Un exemple en est l’acceptation par 57,2% des votants, le 27.09.1998, de la loi sur la RPLP (redevance poids lourds liée aux prestations). Alors que les camionneurs et les milieux économiques prédisaient une explosion des prix à la consommation, une claire majorité de la population a accepté cette lourde taxation du fait qu’une large partie des recettes allait pouvoir financer le transfert du trafic de marchandises de la route au rail grâce aux Nouvelles Liaisons Ferroviaires à travers les Alpes (NLFA). Pour se remémorer les choses, voir l’analyse VOX de l’époque.

A l’inverse, lorsque le gouvernement Hollande a proposé une redevance poids lourds allégée, baptisée écotaxe, et commencé à installer des portiques sur les autoroutes pour prélever la taxe, il a suffit que les bonnets rouges se mobilisent durant quelques semaines, en 2013, et boutent le feu à quelques tonnes de pneus et de palettes pour que le Gouvernement décide de démanteler les portiques avec un coût de plusieurs centaines de millions d’Euros pour les contribuables français. Je suis convaincu que si un droit de référendum populaire existait en France, les projets de lois adoptés par l’Assemblée nationale seraient plus mesurés et équilibrés.

Cependant, pour que la forge de projets de lois équilibrés fonctionne, il faudrait que les différentes sensibilités politiques soient mieux représentées et qu’Emmanuel Macron approuve l’idée d’injecter une puissante dose de proportionnelle dans la Constitution. Il y a bien sûr une prise de risque à voir le RN (ex-FN) entrer en force au Parlement, mais cela vaut toujours mieux que le chaos que pourrait engendrer l’arrivée de l’extrême-droite à la tête de la Ve République, que tout le monde accepte de qualifier de monarchie républicaine.

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