Quel avenir pour le nucléaire en Suisse après Fukushima ?

Un frisson à l’annonce du tremblement de terre d’intensité 9 au large des côtes japonaises et du tsunami. Combien de morts? Des milliers? Des dizaines de milliers? Quelles souffrances! Compassion.

Puis, en apprenant l’arrêt d’urgence de 11 centrales nucléaires, une grande inquiétude. En tant que physicien-énergéticien, je mesure les risques encourus. Tout va-t-il se passer comme prévu? La forte chaleur que les barres de combustible continuent à émettre plusieurs jours après l’arrêt du réacteur pourra-t-elle être évacuée normalement?

Après avoir subi une terrible catastrophe naturelle, la Japon est menacé par ses centrales nucléaires.

Au moment où j’écris ce billet, les pompiers et les pilotes d’hélicoptères qui arrosent les installations, mettant gravement en danger leur santé, et la cinquantaine de techniciens et d’ingénieurs qui n’hésitent pas à se sacrifier, réussissent à éviter le pire. Ils luttent contre un enchainement d’accidents, que les concepteurs n’avaient pas envisagé.

Heureusement que la météo est favorable: le vent souffle vers l’océan. Les 35 millions d’habitants de Tokyo, à 250 km au sud, ne sont pas atteints par la radioactivité, pourtant l’Allemagne et la France, puis d’autres pays, ont conseillé à leurs ressortissants de fuir vers le sud…

On m’a demandé quelles conséquences auront ces événements tragiques sur la politique énergétique de la Suisse.

Tous les milieux qui soutiennent le nucléaire feront-ils simplement le dos rond attendant que la tempête passe. Nous mentiront-ils, comme après Tchernobyl, sur les conséquences de l’accident? Pendant des années, ils ont affirmé que Tchernobyl n’a fait que 58 morts, puis admis, du bout des lèvres, par un rapport de l’OMS-AIEA, qu’il y a 4000, puis 16’000 victimes indirectes. Une broutille quoi! En réalité cette catastrophe a provoqué entre 600’000 et 900’000 morts. Des constatations sur place et de nombreuses études de scientifiques russes et ukrainiens l’ont montré. Un volumineux rapport de l’académie des sciences de New-York l’a confirmé en 20091.

Le lobby nucléaire a aussi affirmé que l’accident de Tchernobyl était moins une défaillance du nucléaire que du système soviétique. D’ailleurs il en a précipité sa chute. Et c’est exact.
Ça ne s’applique pas au Japon, nation démocratique à la pointe de la technique. Ses centrales ressemblent aux nôtres, comme en Suisse, le 1er confinement des réacteurs est en acier et entouré d’un mètre de béton… Mais dans des installations aussi complexes, les enchaînements susceptibles d’aboutir à des accidents majeurs sont multiples et imprévisibles. Par exemple, en 2006 en Suède, dans la centrale de Forsmark, une panne de courant, suivie de la défaillance des 4 génératrices de secours, a privé le réacteur de refroidissement pendant 23 minutes. Selon le rapport de l’organisme de sureté suédois on a réussi enfin à faire redémarrer manuellement 2 des génératrices, mais 7 minutes de plus et la situation aurait été gravissime…

Avec « Fukushima Daiichi », tout le monde peut constater que la sûreté des centrales nucléaires, même de conception occidentale, ne peut être garantie à 100%.

Et les conséquences d’un accident majeur seraient catastrophiques pour la Suisse. Un rapport officiel de la Confédération2 les a évaluées: plus de 900’000 personnes à évacuer, plus de 4000 milliards de dégâts…

Il n’y aurait même pas l’espoir, comme au Japon, que le vent pousse la radioactivité vers la mer. En moyenne, deux jours sur trois le vent souffle en direction des grandes villes suisse-allemandes, un jour sur trois la bise souffle en direction de la Romandie!

Madame Leuthard a compris qu’on ne peut pas continuer comme si rien ne s’était passé. Elle a fait preuve d’un bon « sens politique » en décrétant la suspension des procédures en cours pour autoriser la construction de nouvelles centrales. J’espère qu’elle fasse aussi preuve tout simplement de bon sens en agissant pour que la Suisse se tourne résolument vers l’efficacité et les renouvelables et planifie une sortie ordonnée du nucléaire.

Les Verts en tout cas vont prendre des initiatives parlementaires et populaires pour atteindre ce but. Obtiendront-ils des appuis au delà des associations de protection de l’environnement et de la gauche? C’est probable car, indépendamment des tragiques événements japonais, de nombreux industriels et politiciens du centre droite ont réalisé qu’investir dans l’efficacité et les renouvelables les dizaines de milliards prévus pour construire 3 centrales nucléaires, mettrait plus d’énergie à disposition et créerait plus d’emplois de qualité en Suisse; risques, déchets radioactifs et dépendance de l’étranger en moins.

Un exemple nous montre que la « sortie du nucléaire » est possible: actuellement 210’000 logements chauffés à l’électricité consomment, en hiver, quatre fois plus que l’électricité produite par Mühleberg. Rien qu’en les remplaçant progressivement par des chauffages aux pellets ou par des pompes à chaleur, on pourra se passer de Mühleberg, Beznau 1 et Beznau 2 !

1Annals of the New York Academy of Sciences, Volume 1181, December 2009

2Katanos – une étude comparative sur les conséquences de catastrophes et de situations d’urgence en Suisse : risques de catastrophes en Suisse

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