Thomas Malthus, économiste britannique, développa en son temps une analyse économique incluant les questions démographiques. Il soutient que, contrairement aux ressources qui ne croissent que linéairement, la population, elle, augmente de façon exponentielle. Ainsi, selon lui, les guerres et les épidémies ne jouant plus leur rôle de régulateurs démographiques, il convient de trouver de nouveaux moyens pour contenir l’augmentation de la population.
À priori, la théorie malthusienne peut paraître cohérente : plus nombreux nous sommes, plus nous aurons besoin de ressources, limitées en nombre. Cependant, Malthus n’a pas tout prévu dans son analyse économique « pessimiste » : la productivité a augmenté, de nouvelles ressources ont été découvertes (charbon, pétrole) et de nouveaux moyens d’échanges ont été créés.
Ainsi, en terme de pauvreté, les prévisions de Malthus ne se vérifient pas non plus. La population est passée de 2 milliards d’habitants en 1960 à 6 milliards à l’aube de l’an 2000 alors que dans le même temps la proportion de personnes souffrant de malnutrition est passé de 66% à 14% (2 milliards en 1960, 800 millions en 2000).
Mais, vous allez me dire, pourquoi citer Malthus alors que l’histoire lui a donné tort ?
Car ses théories de limitation de l’accroissement de la population ont été officiellement appliquées dans certains pays d’Asie, comme la Chine ou le Viêt Nam. Ces essais continuent d’être décriés suite, entre autres, à leur impact négatif sur l’évolution de la proportion de femmes et d’hommes.
Malthus et sa théorie de maitrise de la croissance démographique rencontrent aussi un certain écho et sont portées en Suisse par l’association Ecopop depuis une trentaine d’années. Cette association porte les questions de démographie depuis les échecs des brunes initiatives Schwarzenbach. Leurs idées sont sur le devant de la scène suite au dépôt, en nov.2012, de l’initiative « Halte à la surpopulation- oui à la préservation durable des ressources naturelles », prochainement soumise au vote populaire.
Cette initiative défend deux mesures censées préserver les ressources naturelles. La première, dans le but de limiter l’accroissement de la population, stipule que le solde migratoire annuel ne doit plus dépasser 0.2%. Cela équivaut à diviser par cinq le nombre de personnes venant s’installer en Suisse chaque année, en passant d’environ 70’000 à 15’000 personnes.
Cette mesure prétend protéger les ressources naturelles sans toutefois oser s’attaquer au vrai problème : notre impact sur l’environnement par tête d’habitant bien trop élevé. Si chaque habitant de la Terre consommait comme un suisse moyen, il nous faudrait 3 planètes pour subvenir à nos besoins globaux. Il est question de mode de vie et de politique publique, et non d’immigration.
Si ils sont sincères, les initiants devraient aller au bout de leur raisonnement et oser demander la réduction par deux de la population présente dans notre pays. On voit bien le non-sens de leur approche qui pourtant souligne des problématiques sérieuses.
La deuxième mesure veut financer, à travers la coopération internationale, des programmes de planification familiale. Cette mesure, comme la première d’ailleurs, me choque profondément. Les initiants nous font croire que le manque de ressources serait de la responsabilité des habitants des pays du Sud et de leur démographie trop importante alors que l’impact écologique moyen y est bien plus faible qu’en Suisse.
De plus, étant actif dans la coopération internationale depuis quelques années, je peux vous dire qu’Ecopop se trompe en liant de la sorte démographie et pauvreté. Au contraire, l’accès aux soins, à l’éducation et à un minimum de confort a tendance à faire baisser le taux de fécondité.
Bref, la planification familiale n’a rien d’une solution et le budget de la coopération doit être efficacement utilisé, dans les domaines de l’éducation, de la santé ou de soutien à des projets de petites entreprises.
Selon l’association Ecopop, la solution serait simplement de limiter drastiquement l’immigration en Suisse et de contrôler la natalité des pays du Sud. Sans toucher mot des réformes nécessaires en matière d’aménagement du territoire, au niveau de la fiscalité, des milliers de nouvelles villas individuelles construites chaque année, de l’agriculture ou encore de notre consommation d’énergie encore bien trop élevée. Ces problématiques nécessitent des politiques globales et volontaristes auxquelles les Verts s’attellent depuis 30 ans. Il est bien sûr plus simple de poser un chiffre sur l’immigration et de faire croire que ces problèmes en seraient résolus.
Pour finir, les initiants veulent nous faire croire que leur initiative est une solution écologiste à la problématique des ressources et de notre impact sur l’environnement. Ils se trompent totalement et je réfute ce lien fait entre ce projet nationaliste et les mouvements se réclamant de l’écologie politique.
Historiquement, le mouvement écologiste a toujours été à la pointe de l’engagement pour la solidarité internationale et il trouve en partie son origine dans les mouvements anti-impérialistes de par le monde. Contre la guerre du Vietnam, l’invasion en Afghanistan, la répression à Pékin, la solidarité avec les peuples en lutte ou encore l’engagement pour les droits des réfugiés.
Au niveau suisse, nous nous engageons avec force pour une Suisse ouverte et solidaire, dans les parlements et dans la rue. Pour une Suisse qui ne scinde pas des familles en limitant leur regroupement. Celle qui ne menace pas les droits fondamentaux des centaines de milliers de concitoyens sans passeport à croix blanche. Celle qui se remémore les années Schwarzenbach et fera tout pour empêcher le retour de statut de saisonnier. Celle qui, enfin, reconnait la contribution essentielle et historique des immigrés au bien-être commun, à la qualité de vie et au vivre-ensemble.
Hélas, cette Suisse là est de plus en plus menacée et elle se voit, une nouvelle fois, attaquée. Il est de notre responsabilité, nous écologistes, de nous engager pour que ce projet brunâtre qui mêle malthusianisme et politique néocoloniale soit balayé démocratiquement !
« Malthus n’a pas tout prévu dans son analyse économique pessimiste : la productivité a augmenté, de nouvelles ressources ont été découvertes (charbon, pétrole) » : certes, mais grâce à l’utilisation de ces “nouvelles ressources”, d’ailleurs en voie d’épuisement, la planète s’est réchauffée et il y a même un risque d’emballement, excusez du peu… Cette augmentation vertigineuse de l’utilisation des ressources fossiles, liée directement à celle de la population, est donc la cause de catastrophe écologique en cours et Malthus (sans le savoir) avait donc malheureusement raison…
« La planification familiale n’a rien d’une solution et le budget de la coopération doit être efficacement utilisé… » : inexact encore, car selon le Fonds des Nations Unies pour la Population (ONU), 200 millions de femmes des pays en voie de développement sont en demande insatisfaite de contraception. Comment les Verts suisses peuvent-ils être à ce point sourds à la détresse humaine ?…
Maintenant, pour ce qui concerne spécifiquement la Suisse, il faut savoir que la densité de population, basée sur la surface totale du pays (c’est-à-dire montagnes comprises) y est déjà de 194 hab/km² (à comparer aux 115 hab/km² de la France). Cependant, les régions alpines inhabitables et inexploitables (sauf par des stations de ski énergivores) représentent plus de la moitié du territoire. Et donc en réalité, la densité (réelle) de peuplement est proche des 450 hab/km², ce qui place alors la Suisse au rang des pays européens les plus densément peuplés, au dessus des Pays-Bas et de leurs 403 hab/km².
Au passage, impossible de ne pas citer, sans une certaine amertume, cet accablant constat de swissworld : « En allant du lac Léman au lac de Constance, on ne traverse jamais de lieux inhabités. Le paysage révèle toujours la présence de l’homme. Quitte-t-on une ville ? La suivante est déjà en vue. Les villages se touchent presque.»
De toute façon, sur le plan environnemental, la situation de la Suisse n’est absolument pas durable. Selon le Global Footprint Network, la Suisse le 9ème plus “mauvais élève” de planète, sur 149 pays analysés sous l’angle de leur solde écologique (empreinte moins biocapacité), et ce derrière les états du Golfe et deux autres pays européens, les Pays-Bas (6ème) et la Belgique (5ème)…
Au final, il me semble que les Verts suisses devraient revoir leur position vis-à-vis de cette initiative Ecopop s’ils ne veulent pas se retrouver dans le camp des fossoyeurs de l’humanité.
Il faut que Malthus soit un penseur plus important que ses détracteurs ne l’admettent pour qu’il concentre à ce point tant de critiques et reste finalement l’une des grandes références de l’analyse démographique. Ces critiques hélas, pour être récurrentes ne me semblent pas pertinentes.
La première d’abord, la plus classique, selon laquelle Malthus se serait trompé : Non, Malthus ne s’est pas trompé. Il a eu raison avant les autres. Sur le plan global, il est évident que la Terre étant de surface finie, la progression de la consommation des ressources et du nombre des hommes ne peut se poursuivre indéfiniment, en ce sens Malthus n’avait fait qu’évoquer une vérité de Lapalisse qu’aucune rhétorique ne pourra contourner (même si dans les détails on peut discuter du caractère durablement géométrique de la progression démographique et du caractère seulement arithmétique de celles des ressources accessibles).
Dans un premier temps il est vrai que l’échéance de Malthus a été repoussée et il faut admettre qu’il aurait été surpris de voir la progression économique se poursuivre aussi longtemps. Toutefois, à l’inverse de nombreux économistes et même d’écologistes il ne faut pas voir dans ce report un effet miraculeux du progrès technique (lui-même fils d’un génie humain sous-jacent). Le progrès technique n’a pas inventé de nouvelles ressources ni d’énergie. Il nous a permis d’accéder plus vite (c’est-à-dire en plus grandes quantités pour une période donnée) aux ressources existantes, autrement dit à dilapider plus vite le capital de la Terre. Il est étrange de voir des mouvements écologistes faire l’apologie de ce processus ! Aussi étrange est l’apologie de la découverte et de l’utilisation d’importantes ressources en pétrole et charbon quand on sait ce que leur combustion inflige à l’atmosphère et au climat.
Un autre élément me semble devoir être évoqué dans votre texte : « L’accès aux soins, à l’éducation et à un minimum de confort a tendance à tendance à faire baisser le taux de fécondité » Certainement, et nul même parmi les antinatalistes les plus convaincus ne songe à le nier. Simplement cela ne signifie pas qu’il faille ne pas donner la priorité au planning familial. En effet on arrive sinon à un étrange raisonnement. Les écologistes ne cessent de vilipender la croissance de la consommation et de la rendre responsable de tous les maux, et en même temps l’appellent de leur veux pour faire baisser la fécondité (ils en admettent donc la nécessité quand même). Autrement dit on appelle de ses vœux ce que par ailleurs on dénonce comme un poison, car concrètement c’est bien avec l’arrivée du mode de vie occidental (très polluant) que les sociétés ont atteint de faibles niveaux de fécondité.
La contradiction est sans appel. Nous n’en sortirons pas sans une politique de compromis au sein de laquelle la planification familiale aura sa part. Il est urgent de la mettre en place le plus vite possible pour éviter que demain, des régimes autoritaires ne nous l’imposent de manière peu démocratique. Curieusement la liberté de procréer demain dépendra sans doute d’une certaine modération en la matière aujourd’hui.
Quant aux allusions sur le caractère, brun ou brunâtre de toutes les visions en faveur d’une démographie plus modeste, elles sont bien surprenantes car dans l’ensemble, les régimes d’extrême-droite (ce sont eux sans doute qui sont visés par ces sombres évocations) étaient plutôt natalistes et n’ont jamais prôné l’ «Essai sur le principe de population » (l’ouvrage de Malthus) en guise de livre de chevet.
Pour les lecteurs de ce blog intéressés par la question démographique et souhaitant mieux connaitre les arguments des partisans d’une démographie plus modeste, je me permets de signaler le livre « Moins nombreux, plus heureux » récemment paru aux Editions Sang de la Terre (coordination Michel Sourrouille). Ils verront à cette occasion que la pensée anti nataliste est très éloignée de la caricature que l’on veut parfois en faire. L’écologie, la préservation de l’avenir et le respect de l’homme en constituent au contraire les bases principales.