Classement de la flotte Belle Epoque de la CGN: un gage pour l’avenir

distinction CGN ABVL

(Remise de la distinction Patrimoine 2010 par Patrimoine Suisse à la CGN et l’ABVL pour la rénovation de “La Suisse”)

A l’occasion du 100e anniversaire de la section vaudoise de Patrimoine Suisse, j’ai eu le privilège de naviguer à nouveau sur “La Suisse”, vaisseau amiral de la CGN, qui recevait, ce samedi 25 septembre, le prix Patrimoine Suisse 2010. J’ai profité de l’allocution qui m’était demandée pour annoncer ma décision de classer la flotte Belle Epoque de la CGN. Cette annonce a déclenché l’enthousiasme de la nombreuse assemblée. J’en suis d’autant plus heureux que ce “scoop” concluait mon plaidoyer pour un patrimoine vivant, par opposition à la conservation d’un patrimoine figé et “muséifié”.
Le bateau “La Suisse”, centenaire lui aussi, entièrement rénové pour 15 millions de francs en 2008-2009 avec des fonds privés, est une véritable splendeur dont tous les habitants des bords du Léman peuvent être très fiers. Les donateurs de l’Association pour la défense des Bateaux à Vapeur du Léman (ABVL) et les défenseurs du patrimoine en premier lieu.

En cent ans, la société change, à commencer par son rapport à l’environnement construit. C’est ainsi que la Société d’Art Public – l’ancêtre de Patrimoine Suisse – a conduit, à son origine, un combat frontal contre l’édification des grands palaces de Montreux. Des palaces dans lesquels de riches touristes anglais se rendaient en empruntant les navires de la CGN. Aujourd’hui, cette même association se bat pour éviter la démolition des palaces en question et pour que les bateaux Belle Epoque soient restaurés.

Si la société évolue, il faut aussi que le patrimoine s’adapte. Que seraient en effet devenus certains ch teaux et maisons de m tre si on n’avait pas osé y installer le chauffage central et d’autres éléments de confort? Probablement auraient-ils été abandonnés et jamais personne n’aurait trouvé les moyens nécessaires à leur entretien. De même, à quoi servirait de rénover de vieux vapeurs pour ne pas les faire naviguer? Cela signifie qu’ils doivent pouvoir être exploités de manière économique dans le trafic touristique.

Aujourd’hui, la conservation de la flotte Belle Epoque et l’exploitation touristique commerciale sont deux missions distinctes de la CGN, parfois contradictoires bien que complémentaires. La restauration d’un navire historique s’accommode mal de considérations financières et économiques. La rénovation d’un tel b timent coûte d’ailleurs nettement plus cher qu’un navire neuf de même capacité. Il en va de même des considérations écologiques, le rendement d’une machine à vapeur étant catastrophique en comparaison des moteurs modernes. A l’inverse, les bailleurs de fonds publics attendent de la CGN qu’elle exploite sa flotte de manière rationnelle pour produire l’offre de transport touristique commandée en minimisant son déficit. Ces deux logiques sont incompatibles, raison pour laquelle le Conseil d’Etat préconise de confier la mission patrimoniale à une fondation qui louera ses bateaux à la CGN qui les exploite. La situation sera alors comparable à celle des Navibus qui sont en leasing et n’appartiennent donc pas à la CGN. Cependant, compte tenu des réactions provoquées par cette proposition et avec le souci de maintenir un dialogue constructif avec les divers partenaires du dossier, le Conseil d’Etat examinera certainement d’autres propositions. Comme annoncé dans un communiqué de presse de ce jour, elles seront débattues lors d’une rencontre planifiée pour la mi-novembre.

En classant la flotte Belle Epoque, le canton donnera un signe tangible de sa volonté de conserver à long terme ce patrimoine exceptionnel. Mais attention: l’arrêté de classement ne devrait pas conduire à ce que, pour des raisons techniques ou économiques, ces bateaux ne puissent plus être exploités dans 20, 30 ou 40 ans! Il faudra bien réfléchir pour savoir quels seront les éléments intangibles et quels pourraient être les critères autorisant tel ou tel transformation imposées par les circonstances. Mon intention reste de garantir un avenir à la CGN et que cette flotte continue durablement à naviguer sur le Léman en procurant les émotions d’un patrimoine vivant aux habitants et aux touristes de toute une région.

6 réflexions au sujet de « Classement de la flotte Belle Epoque de la CGN: un gage pour l’avenir »

  1. Monsieur le Conseiller d’à‰tat,

    Je me rallie bien sûr à  l’enthousiasme des participants présents à  bord du superbe “bateau amiral de la CGN,le “LA SUISSE”, exprimé lors de l’annonce de votre décision de classer la flotte Belle à‰poque. Vous ne m’en voudrez toutefois pas, en tant que spécialiste des machines à  vapeur lémaniques, avec 36 ans d’expérience dans ce domaine, de revenir sur certaines affirmations annexes contenues dans votre message et d’exprimer mes réserves. Classer les bateaux sans y inclure leur “cÅ“ur” ferait perdre une bonne partie de l’intérêt de votre démarche visionnaire. Certes, à  l’impossible nul n’est tenu et le jour où le carburant coûtera cinq fois plus qu’aujourd’hui, même les moteurs “modernes” et plus économiques s’arrêteront progressivement. Donc, si vous voulez inclure, dans l’arrêté, des conditions quant à  la pérennité du “cÅ“ur” du vaisseau classé, il faudra qu’elles soient suffisamment limitatives afin de n’être applicables que comme ultima ratio. Et n’oublions pas qu’on n’a pas encore épuisé les recherches quant aux futures possibilités de chauffer les chaudières des machines à  vapeur avec des pellets, énergie renouvelable s’il en est et qui ne servira pas jamais à  faire marcher un moteur à  explosion. Ajoutons encore la possibilité de la chauffe au gaz naturel, admise en mer mais qui ne l’est pas encore sur nos lacs suisses pour l’instant (ce n’est qu’une question de temps, en attendant la modification sollicitée de la législation de l’OFT). Vous savez bien qu’avec les statistiques on peut tout prouver: si une machine à  vapeur a un rendement nettement plus faible qu’un moteur à  explosion moderne, mais une durée de vie nettement plus longue ( 100 ans pour la machine du “LA SUISSE”), il n’est pas “catastrophique” pour autant, les récents progrès obtenus pour cette technologies et les nouvelles procédures bien adaptées à  la navigation à  vapeur ont déjà  permis des économies de carburant substantielles, disons d’un tiers sur un bateau comme le “SAVOIE”, dont la rénovation avait été financée par les trois cantons riverain entre 2004 et 2006 (on n’a pas encore des statistiques précises pour “LA SUISSE”). Enfin, avec nos bateaux, avec leurs machines, à  l’ambiance incomparable, qui attirent trois fois plus de tourisme qu’ un banal navire à  hélices et génèrent donc aussi trois fois plus de recette, touristes qui renoncent de la sorte à  une sortie en voiture de peut-être plusieurs dizaines si ce n’est de centaines de kilomètres, Le bilan écologique sera tout à  fait honorable et penchera en faveur du vapeur. CQFD….
    Reste une question importante: on murmure, dans les “milieux bien informés”, qu’un arrêté de classement permettrait en même temps peut-être d’ éviter l’écueil de l’art.163 de la Constitution, car la dépense pourrait alors être considérée comme “liée” (à  cet arrêté) et non “nouvelle”. à‰tant entendu que l’engagement des pouvoirs public pour les futurs investissements afin d’assurer la pérennité de la flotte Belle à‰poque, restera, dans tous les scénarios de structure de la CGN actuellement à  l’étude, incontournable. Pouvez- vous me confirmer cette interprétation ?
    Merci, Monsieur le Conseille d’à‰tat, pour votre réponse à  cette question et surtout pour une décision de classement comprenant un strict minimum de réserves qui seraient vraiment incontournables.

    Raymond Croset
    Chavannes-près-Renens

  2. Cher Monsieur,

    Je partage entièrement votre point du vue. Le remplacement d’une machine à  vapeur ne devrait être envisagé que comme ultima ratio. Avant d’en arriver là , on cherchera à  accroître le nombre de passagers intéressés à  voir fonctionner ces magnifiques machines. Et si nécessaire, on pourrait reprendre l’idée de “surtaxe vapeur”. Quant à  moi, je serais disposé à  payer un peu plus pour ce spectacle. Comme il n’en va probablement pas de même pour tous les touristes, une partie des gens naviguera sur les diesel-électriques.

    Et puis il y a cette idée des pellets de bois. Je l’avais moi-même évoquée voici quelques années. Pour l’heure, il semble que le volume de stockage nécessaire ne trouverait pas sa place dans l’espace des citernes à  mazout et le préchauffage prendrait plus de temps encore. Mais l’idée n’est certes pas à  abandonner…

    Reste que d’autres adaptations pourraient être nécessaires pour que la navigation reste autorisée. Je pense en particulier aux systèmes de sécurité et de sauvetage, ou à  d’autres prescriptions techniques.

    En conclusion, il faudra être très circonspect pour rédiger un arrêté de classement qui préserve et le patrimoine et l’avenir de la navigation.

    Avec mes meilleures salutations.

  3. Monsieur le Conseiller d’Etat,

    Merci de ces informations et surtout du projet de classement dont il est question depuis 18 ans… et merci à  M. Croset pour ses commentaires si pertinents concernant la vapeur de la part d’un professionnel.

    Ensuite, je pense que beaucoup de paramètres devront entrer (ou pas) en ligne de compte, surtout en considérant les états successifs.

    Par exemple, je serais pour maintenir les cheminées jaunes, bien que cette couleur ne soit apparue que dans les années 20, mais s’est imposée comme typiquement lémanique.

    Ou encore le pont supérieur du RHONE, le seul qui, à  part les fumoirs, est resté très proche de l’origine (petite rotonde frontale, portes coulissantes, vitrage latéral le long des tambours, incliné avec structure en bois, qui fut le modèle pour toute la flotte, pas de fermeture arrière: ce serait une perte de le transformer comme SAVOIE).

    Avec mes cordiales salutations

    Denis Martin

  4. Cher Monsieur,

    Vos remarques concernant la couleur des cheminées et les types de vitrage montrent bien que l’arrêté de classement, s’il n’est pas rédigé avec une grande intelligence, pourrait s’avérer source de blocage. Or, si j’ai fait cette proposition de classement, c’est précisément pour tenter de débloquer le dossier de la CGN en disant avec force que ce patrimoine doit être entretenu à  long terme et que, pour cela, il doit pouvoir naviguer.

    Avec mes meilleures salutations.

  5. Monsieur le Conseiller d’Etat,
    Quelle bonne décision de classer cette flotte!
    Depuis 1991, lors de la motion Caboussat pour la mise à  l’Inventaire, effective en 1999, j’ai toujours pensé que le reliquat des 12 bateaux Belle Epoque de la flotte Sulzer, avec 8 rescapés, devait être strictement protégé, et bénéficier d’un plan sérieux et échéancé de restauration.
    Mais il n’est pas trop tard, et pour moi les deux diesel-à lectriques économiques incombent aux pouvoirs publics, car la CGN a besoin de ces bateaux, et des bateaux neufs coûteraient tout autant sans aucun charme ni classe… En ce qui concerne la deuxième phase du Simplon et le Rhône, c’est aux privés de faire encore un effort, après les quelques 23 millions non publics déjà  investis dans les unités La Suisse, Simplon et autres (ABVL et augmentations de capital CGN)
    Il faudrait enfin mettre sur pied un véritable programme: 2011-2014 Vevey-Italie, 2014 2017 Simplon Rhône. En ce qui concerne l’Helvétie, un plan mixte devrait pouvoir débloquer le situation, car le diesel-électrique abaissera les coûts de fonctionnement à  la charge des clients et de l’Etat..Mais il faudrait en tous cas terminer ce plan en 2020 au plus tard, car le Montreux aura déjà  20 ans!
    Le temps presse! Travaillons tous afin de rendre à  la Flotte du Léman sa beauté, son efficacité, sans oublier de rendre aux passagers, par ailleurs citoyens-contribuables un horaire adéquat, malheureusement laminé dangereusement depuis 2006! Merci de votre actif soutien.
    Stéphane Golay

  6. Je partage l’avis de Stéphane Golay, avec quelques nuances: l’économie du système diesel-électrique est prouvée, mais tout n’a pas encore été essayé, comme le dit Raymond Croset, pour améliorer le rendement de la vapeur. Ensuite, après les rénovations attendues et souhaitées des Vevey, Italie, Simplon et Rhône, je pense que l’Helvétie, dont le mode de propulsion reste encore à  définir, devrait bénéficier de fonds publics s’il s’agit d’un projet diesel-électrique. Enfin, la remise en état de cette unité dépendrait de l’éventuelle démolition du Lausanne qui aura 30 ans en 2021. Sans cela, la CGN se trouverait en surcapacité… à  moins que l’horaire soit substantiellement réétoffé, ce que de nombreux usagers espèrent.
    Denis Martin

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