Oulu: ouh là là!

Oulu Finlande

(source: http://www.liberation.fr/economie/2013/02/24/energie-oulu-fiere-de-ses-deconnectes_884208)

Quand on veut, on peut! La Finlande en fait la preuve. Dans un pays où les températures hivernales descendent facilement à -40 degrés Celsius, on parvient à construire des bâtiments énergétiquement autonomes!!  Sur la base de prototypes existants, les objectifs nationaux sont revus à la baisse par le Gouvernement et se déclinent en propositions concrètes pour une ville comme Oulu (200’000 habitants), proche du cercle polaire. Je reprends ci-dessous, in extenso, un article paru dans Libération du 24 janvier 2013.

reportage

Dans cette ville finlandaise, le test réussi de maisons autosuffisantes en électricité ouvre la voie à un autre modèle énergétique.

Par GABRIEL SIMÉON Envoyé spécial à Oulu (Finlande)

Le froid ne tempère pas l’innovation. A Oulu, ville finlandaise de 200 000 habitants, plus proche du cercle polaire que de la capitale Helsinki, les températures frisent parfois les – 40 °C. Et on a coutume de dire que si un concept marche ici, il fonctionnera forcément ailleurs. «Nous sommes pénalisés par le froid et la distance aux autres pays. Du coup, nous avons été naturellement obligés d’augmenter l’efficience de certains secteurs, comme ceux de l’énergie et de la construction», explique Juhani Anhava, consultant auprès du cabinet Pöyry spécialisé dans ces domaines.

Collectif. Depuis vingt ans qu’on y pense «clean», la Finlande fait figure d’exception en Europe en matière d’efficience énergétique – consommer moins pour le même résultat – et de recours aux énergies renouvelables. En 2011, 33% de l’électricité produite dans le pays était d’origine «verte», moitié hydraulique, moitié bois. Et, tandis que 84% de l’énergie consommée par les foyers partait dans le chauffage, près d’un Finlandais sur deux était raccordé à un système de chauffe collectif géré au niveau communal.

Depuis 2001, l’Etat renouvelle tous les trois ou cinq ans sa stratégie à long terme en matière d’énergie et d’environnement. Avec des objectifs ambitieux pour la fin de la décennie. D’abord, tout nouveau bâtiment construit après 2020 devra être «passif» : comprendre que la moitié des besoins en énergie des occupants devra être produite sur place à partir de sources renouvelables. Ensuite, le pays compte stabiliser sa consommation électrique finale d’ici à 2020, puis la réduire d’au moins un tiers sur les trente années suivantes. Enfin, la part des énergies renouvelables devra atteindre 38% en 2020, avec un effort massif porté sur l’éolien – qui représente aujourd’hui moins de 1% de la production.

Oulu, présentée comme la «Silicon Valley de la Scandinavie du Nord», va encore plus loin dans le collectif que le reste du pays : 90% des foyers – ainsi que les rues piétonnes – y sont chauffés via les tuyaux gérés par la ville. A la fin de l’année, tous seront équipés d’un nouveau boîtier électrique qui optimisera la distribution d’énergie en fournissant une mesure plus précise de la consommation. Cela n’empêche pas une poignée d’ingénieurs et de scientifiques locaux d’imaginer partir dans une direction opposée. Pour eux, les logements pourront bientôt être temporairement coupés du réseau, voire 100% autonomes en énergie. Et ce, sans rogner sur le confort intérieur si cher aux Finlandais. Leurs idées sont testées grandeur nature depuis plusieurs années. Avec un certain succès.

Sauna. A 12 km au sud d’Oulu, figé sous une épaisse couche de neige, l’écoquartier de Kempele est le pionnier de ces ensembles «off grid» (déconnectés du réseau électrique) finlandais. Depuis février 2010 et l’arrivée des premiers habitants, on y trouve dix grandes maisons avec leur jardin, une aire de jeu, un mini terrain de foot… et une centrale énergétique, qui produit suffisamment d’électricité et d’eau chaude pour subvenir aux besoins de la petite communauté. «Nous achetons des copeaux de bois que nous transformons en gaz au rythme de 3,5 m3 par jour, précise Jarno Haapakoski, directeur général de Volter, une société locale qui a fait de la fabrication de ce type de centrale sa spécialité. Une partie sert à chauffer l’eau circulant entre les maisons [où le chauffage s’effectue au sol, ndlr], l’autre est brûlée pour générer de l’électricité. Nous avons aussi une petite éolienne pour ajuster la production.» Adossé à ce système, un pack de batteries de 320 kWh permet de recueillir le surplus d’énergie produite pour faire face aux pics de consommation, et l’excédent d’eau chaude est stocké dans des réservoirs. Si la production venait à être empêchée, il y aurait assez pour alimenter le quartier pendant une journée.

La seule chose dont s’occupent encore les résidents est le bois destiné au sauna à fumée, véritable institution dans le pays où la majorité des maisons en sont équipées. «Il faut compter entre cinq et sept ans pour un retour sur investissement de ce système en Finlande, assure Jarno Haapakoski. Il reste bien moins onéreux que le réseau public !» En se référant aux statistiques officielles datées de septembre, se chauffer à partir de copeaux de bois revenait trois fois moins cher que d’utiliser l’électricité du réseau. Et cela restait toujours plus rentable que le chauffage collectif de la ville.

«Survivalistes». Se débrancher du réseau… Un argument économique ? «Bien sûr ! s’exclame Klaus Känsälä, directeur de recherche au centre d’études techniques VTT d’Oulu. Construire un logement hors réseau n’est plus une question de sensibilité écologique, c’est surtout un moyen de faire des économies. Et ça, c’est un argument qui parle aux gens.» Pour l’heure, l’appartement autonome qu’il expérimente depuis plus d’un an dans son centre de recherche a tout pour séduire un couple de «survivalistes» en quête d’indépendance énergétique. Une éolienne de 10 m de haut imbriquée dans l’immeuble et 20 m2 de panneaux solaires disposés sur le toit fournissent assez de puissance (9 kW) pour couvrir, en temps normal, tous les besoins du logement. En cas de météo peu favorable ou de panne des installations, un pack de batteries AGM de 58 kWh assure l’approvisionnement pour trois jours supplémentaires. Chauffage, machine à laver, sauna et voiture électrique inclus !

Un des chercheurs et sa famille y résident depuis plusieurs mois. C’est en chaussettes que l’on pénètre dans ce trois pièces de 65 m2, la déco y est si minimaliste que l’éclairage saute aux yeux. L’appartement a été truffé de diodes électroluminescentes (LED), dix fois moins gourmandes en électricité. La luminosité s’adapte en fonction de l’occupation des pièces et de l’ambiance programmée. La nuit, en cas de besoin pressant, une rangée de LED placée à 10 cm du sol s’allume dès le premier pied posé par terre.

«L’habitation est autosuffisante toute l’année sauf en hiver où la production est fortement diminuée faute de soleil, concède Klaus Känsälä. Mais à cette période, il sera alors intéressant d’acheter l’énergie du réseau public.» La principale innovation de cet appartement test d’Oulu se cache dans le placard électrique, d’une simplicité trompeuse. Ici, un boîtier de contrôle «intelligent», programmable par Internet, optimise en temps réel la consommation du foyer en fonction de ses besoins, de sa propre production d’énergie et des réserves sur batteries. «Grâce à de tels systèmes, chacun pourra bientôt programmer l’utilisation ou non de ses appareils selon l’heure de la journée, tout couper au départ du dernier occupant, et surtout arrêter l’éolienne et le photovoltaïque quand il n’y en a pas besoin», assure le responsable du projet.

L’impossibilité de couper les installations quand la demande est faible est un problème que rencontrent, notamment en Allemagne, les producteurs d’énergies renouvelables, parfois contraints de payer pour écouler leur courant. «Les prix négatifs sont très rares, mais ils existent, en Allemagne comme en France, observe-t-on à l’Epex Spot, la Bourse de vente d’électricité à court terme. On constate régulièrement ce phénomène à Noël par exemple, au moment où la consommation industrielle est basse.»

Trading. Pour Känsälä, le principal intérêt du boîtier est ailleurs : «Le réseau domestique sera synchronisé avec le réseau public et l’on pourra vendre de l’énergie quand les prix du marché seront hauts et, à l’inverse, en acheter lorsqu’ils seront bas.» Bienvenue dans un futur où chacun, à la fois producteur et consommateur, pourra réaliser de petites plus-values en stockant ou en écoulant son énergie. La mise reviendra alors à ceux qui auront les boîtiers les plus performants.

Mais avant que le trading haute fréquence d’électricité devienne la nouvelle norme, il faudra d’abord arriver à des tarifs variant quasiment chaque minute. Le prix de l’énergie étant bas en Finlande, «cela n’a pas d’intérêt pour le moment, note le chercheur. Mais si l’on se réfère à nos études, cela finira par arriver. Dès qu’il y a la possibilité de faire des bénéfices, les gens sont intéressés». Ce nouveau scénario énergétique vertueux pourrait se réaliser dans moins de cinq ans. Reste à voir s’il dépassera les frontières finlandaises.

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