Économiser l’énergie grise reste un défi majeur!

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(Source: L’énergie au futur, Éditions d’En Bas, 1997, p. 140)

Dans le cadre de la préparation du cours que je devais donner toute la journée du 20 mai 2016 à l’UNIL dans le cadre d’un Master en fondements et pratiques de la durabilité, je suis retombé sur le chapitre Que consomment les biens de consommation?,  que j’avais rédigé en 1997 dans le cadre du livre L’énergie au futur. Ayant égaré cet ouvrage, je l’ai retrouvé grâce à Google Books. Malheureusement, pour des raisons de droits d’auteur, l’auteur que je suis n’a pas pu télécharger le texte, mais j’ai pu faire une capture d’écran du graphique ci-dessus. Mais ce qui suscite ce billet de blog est que ces réflexions vieilles de plus de 20 ans conservent toute leur pertinence et leur urgence…

Bien sûr, les calculs faits il y a 20 ans devraient être actualisés, mais ils restent malheureusement simples et implacables.

Pour savoir s’il vaut mieux, d’un point de vue énergétique, réparer un appareil ou le remplacer par un appareil énergétiquement plus efficace, il suffit d’additionner, pour chaque cas, l’énergie grise investie et l’énergie consommée annuellement. Dans l’exemple de l’aspirateur représenté sur le graphique ci-dessus, j’avais même considéré que l’énergie grise du nouvel appareil (plus léger et… plus camelote) était moindre (-20%) et que le gain d’efficacité énergétique était substantiel (-25%). Dans ces conditions, l’opération ne sera rentable que si le nouvel appareil dure plus de 19 ans.

Malheureusement, une telle espérance de vie, si elle pouvait se vérifier pour les appareils fabriqués dans les années ’60 à ’80, ne sera jamais atteinte. Surtout, à mesure que l’on se rapproche de l’efficacité maximale qui découle des lois de la physique, les gains marginaux d’efficacité ne peuvent que se réduire. Il en résulte que les appareils devraient durer de plus en plus longtemps, alors que l’on observe le contraire depuis 50 ans. En d’autres termes, remplacer un appareil par un nouveau plus économe en énergie conduit inéluctablement à augmenter notre consommation globale d’énergie et doit être qualifié de une fuite en avant. CQFD.

Voir aussi, sur le même sujet, ce petit article publié en 1999 sur le site Internet de La Bonne Combine: Comment économiser l’énergie grise….

En mars 2015, l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) publiait un guide très officiel pour aider les consommateurs à répondre à la question de savoir à partir de quand il vaut mieux remplacer un appareil plutôt que de le réparer (voir EnergieSuisse, Faut-il réparer ou remplacer les appareils ménagers défectueux, Aide à la décision, pdf 4,8 Mo).

Certes, cet “aide à la décision” n’élude pas la question de l’énergie grise, mais le seul critère pour répondre à la question “réparer ou remplacer” est relatif au différentiel de prix entre l’achat d’un appareil neuf (“prix catalogue -30%”) et le “coût maximum de réparation” exprimé en % de la valeur à neuf, qui va de max. 50% pour un appareil très récent et 5% pour un appareil vieux de 8-10 ans, selon la catégorie. La question énergétique disparaît des écrans radar et on se demande qui, de l’OFEN ou des commerçants, a fixé les prix au-delà desquels il ne faudrait pas réparer… Il est scandaleux de publier de telles inepties! Qui plus est avec l’argent des contribuables…

Puisque l’aspirateur ne figure pas dans l’aide à la décision de l’OFEN – dommage! – je me suis arrêté un instant sur le cas de la machine à café. La Confédération (!) recommande de ne pas réparer une machine à café âgée de 5-7 ans si le prix de la réparation excède 10% du prix d’une machine neuve. Sachant que les machines à café à capsules pourraient vous être offertes pour CHF 1.- comme les smartphones à la conclusion d’un abonnement de téléphonie mobile, l’application de cette recommandation revient à inciter les gens à remplacer l’appareil à la première panne, comme l’espèrent les commerçants.

Pour ma part, j’entretiens avec “amour” une fabuleuse machine à café Gaggia Baby qui doit avoir 40 ans dans laquelle je mets le café de mon choix, qui me coûte 4-5 fois moins cher que les capsules Nespresso. Je n’hésiterai donc pas à payer >100% du prix d’une camelote neuve pour faire durer aussi longtemps qu’il est possible ma Gaggia! A noter que le prix de cette machine dans les années ’80 du siècle dernier représentait l’équivalent de CHF 1’500.- d’aujourd’hui. Il est normal que, à ce prix-là, elle soit entièrement et facilement réparable (quand bien même il n’y a plus de pièces d’origine depuis environ 20 ans)! De manière générale, je ne comprends pas comment on peut défendre l’idée que, pour réparer une machine de qualité, il ne faudrait pas dépenser plus que X% de la valeur à neuf d’une camelote! Si, au final, j’ai un appareil remis à neuf dont l’espérance de vie est supérieure à celle d’un neuf, il est parfaitement rationnel de payer au moins autant que le prix de ce dernier pour le faire réparer!

Mais revenons au sujet qui nous occupe – et n’a pas fini de nous occuper – pour rappeler que l’essentiel de l’énergie consommée par une machine à café l’est pour chauffer l’eau à l’aide d’une résistance électrique (corps de chauffe) dont le rendement est par définition de 100% et ne peut être amélioré. Bien sûr, les nouvelles machines sont équipées de systèmes électroniques pour éteindre l’appareil après quelques heures sans utilisation et peuvent donc permettre des économies d’énergie dans les ménages peu soucieux du problème. Toutefois, l’OFEN le reconnaît lui-même, “arrêter
la machine après utilisation est plus efficace”. Une conclusion s’impose pour la machine à café et bien d’autres appareils, les faire durer sera toujours plus rationnel que jeter et racheter! Et cela vaut pour l’environnement comme pour le porte-monnaie.

5 réflexions au sujet de « Économiser l’énergie grise reste un défi majeur! »

  1. Complètement d’accord avec François Marthaler. D’autant plus que pour se poser la question réparer ou remplacer … en plus de l’énergie, il s’agit de tenir compte également de la pollution chimique, soit les substances toxiques envoyées dans l’eau, l’air et les sols lors de la fabrication.
    Et cette pollution-là n’est ni calculable, ni remédiable et surtout ni compensable par l’utilisation de l’objet en question. ! (Pour bien le comprendre, lire “Fonce Alphonse !” aux Edtions G d’Encre ou sur http://www.lachaussurerouge.ch).

    Merci à François Marthaler pour son travail, c’est précieux et tellement important.

    Lucien Willemin

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