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De l’improvisation théâtrale pour les élèves en difficulté

Le premier ministre français Manuel Valls et la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, sous l’impulsion du comédien Jamel Debbouze, ont proposé il y a quelques mois d’introduire l’improvisation théâtrale dans le cursus de certains écoliers. Plus précisément, ils se sont dit prêts à renforcer l’apprentissage de la langue française et la pratique artistique collective dans certaines zones d’éducation prioritaires. Malgré les levées de boucliers d’une partie de l’opinion publique de l’Hexagone, il nous est permis de nous questionner sur la pertinence et l’efficacité d’une telle démarche ainsi que sur la possibilité d’importer un tel projet au sein des écoles vaudoises, sans pour autant bouleverser la grille horaire ou diminuer les heures des disciplines dites traditionnelles.

L’art de l’improvisation, de la création théâtrale spontanée, trouve son origine dans plusieurs valeurs émancipatrices, parmi lesquelles nous pouvons relever l’écoute ou le lâcher-prise. Improviser, c’est avant tout communiquer avec l’autre, créer ensemble, dans un esprit de déférence réciproque, à l’aide du corps, de la voix ou du regard.

Proposer l’improvisation théâtrale aux élèves en situation précaire ou scolairement fragiles pourrait constituer une solution pertinente, dans l’optique de les remettre sur les bons rails. À regarder de près l’article 104 de la loi sur l’enseignement obligatoire (LEO), on constate que « l’enseignant fixe des objectifs personnalisés pour l’élève qui n’est pas en mesure d’atteindre ceux du plan d’études ». Ne tombons pas dans le piège de vouloir à tout prix imposer des appuis aux élèves en dérive scolaire, tels que décrits dans l’article susmentionné, alors que c’est précisément l’excès d’études qui provoque chez eux une aversion pour l’école. Prescrivons-leur plutôt des activités artistiques enclines à renforcer, par exemple, la pratique orale de la langue, puisque l’écrit est anxiogène pour ce type d’écoliers. C’est souvent parce que les productions écrites de ces apprenants sont défaillantes qu’il leur a été proposé un programme personnalisé ou un enseignement de type spécialisé.

L’improvisation théâtrale aurait le mérite de renforcer l’estime que certains élèves ont d’eux-mêmes et d’améliorer leur capacité à structurer mentalement leur pensée, de façon à pouvoir, dans un deuxième temps, s’atteler à l’expression écrite, objectif somme toute final de la scolarité.

Sans prétendre que cette piste constitue la panacée, elle permettrait aux professionnels de l’enseignement d’avoir des outils à disposition afin d’offrir aux élèves précités de quoi renforcer leurs aptitudes scolaires et leur intégration dans la vie active.

L’école garante de la liberté d’expression

En ces sombres heures où la Ville Lumière se trouve plongée dans les ténèbres par quelques fanatiques imprécatoires, nos valeurs démocratiques chancèlent. Les fondements de notre société s’ébranlent. La liberté d’expression vacille. Et nous ne pouvons raisonnablement pas tolérer pareil affaissement. « Seul est libre qui use de sa liberté », est-il stipulé dans la Constitution fédérale.

Dès lors, il convient de trouver des solutions pragmatiques afin de défendre et de perpétuer le droit à la libre parole, pour autant que cette dernière soit exprimée de façon révérencieuse. Et si l’école constituait l’ultime bastion face à la tentation de la censure ? Et si les établissements scolaires étaient en mesure de cultiver l’ouverture d’esprit des citoyens en devenir ?

On peut tout d’abord considérer la mission de l’instruction publique comme purement transmissive. L’école servirait ainsi avant tout à inculquer aux écoliers des connaissances ou des compétences manuelles, et elle ne saurait s’écarter de cette auguste responsabilité. L’enseignant ne serait, à l’aune de cette conception, qu’un clerc bon à psalmodier son encyclopédisme.

Mais il est également possible de reconnaître à l’école la fonction de garante de certaines valeurs, parmi lesquelles la liberté d’expression occuperait une place cardinale. Les enceintes scolaires pourraient de la sorte tenir lieu d’espace de parole, à l’intérieur duquel les élèves s’exprimeraient en toute indépendance, sans crainte de subir les objurgations d’autrui. Dans cette optique, le professeur incarnerait l’impartialité et endosserait, en plus du costume d’érudit, l’uniforme du médiateur, du provocateur d’échanges de points de vue indispensables au développement de l’enfant. Néanmoins, l’apprentissage du franc-parler est indissociable d’une certaine forme d’ouverture d’esprit.

En effet, la liberté de parole apparaît comme consubstantielle à la capacité d’écoute. Si je veux pouvoir verbaliser ce que bon me semble, je dois consentir à entendre et respecter les opinions diamétralement opposées aux miennes. Faire usage du droit à l’expression c’est, par voie de conséquence, apprendre à tenir en estime le discours de tout un chacun, sans nécessairement l’approuver, mais dans une perspective de tolérance et de communication.

Enfin, plus largement, la problématique de la liberté d’expression et de la capacité d’écoute pose donc la question de l’altérité. L’épicentre de la violence se situe en partie dans notre ego. « L’autre » fonctionne alors souvent comme miroir de nos propres peurs. En prenant conscience des implications de mes dires, je manifeste un haut degré de compréhension du cheminement culturel et intellectuel de mon prochain. Cet entendement des diversités ne peut que renforcer les liens qui unissent les êtres humains et, par conséquent, subvertir l’obscurantisme.

De l’importance de varier ses approches pédagogiques

En société, lorsque l’on parle d’enseignement, il est coutume d’opposer la pédagogie dite « traditionnelle », que l’on associe volontiers aux enseignants conservateurs, et la pédagogie supposément « nouvelle »,  qui serait l’apanage des instituteurs de gauche. Cette vision étriquée et binaire des pratiques didactiques est non seulement erronée sur le plan historique – les méthodes aujourd’hui jugées alternatives existent depuis des siècles -, mais ne rend, de plus, aucunement compte de la réalité du terrain.

À chaque situation ou objectif d’enseignement correspond une approche spécifique. Les démarches transmissive, béhavioriste et socioconstructiviste ont toutes leur place en milieu scolaire. Il incombe aux enseignants d’alterner l’utilisation de ces méthodes en fonction de leurs affinités pédagogiques et des besoins des élèves.

D’aucuns affirmeront péremptoirement la prééminence d’un procédé et plaideront en faveur de son usage exclusif, faisant fi des exigences plurielles du public scolaire. Pourtant, le dogmatisme didactique est à ranger au fond d’un tiroir, puisqu’il ne permet pas à l’ensemble des apprenants de s’approprier les objets d’enseignement, mais accroit, à l’inverse, les inégalités face à l’assimilation des savoirs. L’utilisation d’une seule approche estimée infaillible n’apportera pas toujours les résultats escomptés. En pédagogie, deux plus deux ne font pas forcément quatre.

Par ailleurs, les pratiques pédagogiques peuvent être totalement indépendantes du système éducatif dans lequel elles sont mises en oeuvre. Il est parfaitement envisageable, et vérifiable dans les faits, de mettre en place un enseignement magistral dans une structure jugée « progressiste » comme EVM (Ecole vaudoise en mutation), tout comme l’on peut privilégier, à l’intérieur de cette même structure, des séquences construites autour de projets, comme le préconisait Célestin Freinet. L’enseignant est le démiurge de l’orientation formelle de ses leçons.

Le concept qui devrait prévaloir sur toute considération idéologique en matière didactique est celui de différenciation. Gérer les différences présentes au sein d’un classe c’est, selon la pédagogue québécoise Jacqueline Caron, faire le deuil des pratiques habituelles, des routines sécurisantes, d’une croyance indéfectible en la suprématie d’un modèle d’enseignement. Gérer les différences, c’est être souple dans l’exploitation des outils, notamment des manuels. Gérer les différences, c’est vaincre la peur que les élèves n’aient pas les ressources nécessaires pour agir. Gérer les différences, c’est surmonter la sécurité apportée, mais modérément opérante, de l’approche collective.

En définitive, gérer les différences, c’est diversifier perpétuellement les mises en situation, l’outillage cognitif ou encore les stratégies d’apprentissage, pour permettre l’épanouissement et l’élévation intellectuelle du plus grand nombre.

Les bienfaits d’une journée sans viande

Le dernier rapport de la Commission fédérale de l’alimentation (COFA) publié dans la NZZ am Sonntag est sans équivoque : une consommation excessive de produits carnés accroit, entre autres, les risques de développer un cancer ou un diabète de type 2. Sans pour autant faire l’apologie du végétarisme ou du végétalisme, de tels constats doivent nous inciter à nous interroger sur notre comportement face à la consommation, ainsi qu’à intensifier la promotion d’une alimentation variée et équilibrée.

À cet égard, la volonté de la COFA d’influer sur les habitudes alimentaires des 35-70 ans est certes louable, mais éminemment discutable. Il va sans dire que celui ou celle qui entend changer la société doit en premier lieu sensibiliser la nouvelle génération, de façon à générer un résultat pérenne. La mise en place d’une journée sans viande dans les cantines scolaires du canton pourrait donc s’avérer bien plus salutaire qu’une action préventive auprès de la tranche d’âge précitée. Au moins trois éléments plaident en faveur d’un changement de paradigme en la matière.

Pour des raisons de santé publique tout d’abord. En effet, beaucoup de jeunes collégiens tombent dans le piège de la malbouffe, la publicité et les vitrines pour celle-ci étant omniprésentes dans la société actuelle. De plus, tous les enfants n’ont pas l’occasion de manger suffisamment de fruits et légumes à la maison. Pouvoir, ne serait-ce qu’une fois dans la semaine, se nourrir sainement est un minimum exigible.

Ensuite, relevons que la production de viande est particulièrement énergivore, puisqu’il faut en moyenne quinze tonnes d’eau pour obtenir un kilo de viande de bœuf, contre une tonne d’eau pour obtenir une tonne de céréales. À cela, il faut ajouter les émissions de méthane occasionnées par les ruminants, ou encore la pollution à grande échelle causée par l’élevage intensif. Une alimentation carno-centrée est, par conséquent, contraire à l’idée même de durabilité.

Enfin, et c’est probablement l’argument massue pour les familles, le budget repas des écoliers pourrait se trouver allégé. Les aliments contenus dans une assiette végétarienne coûtent, sans conteste, bien meilleur marché à l’achat que la viande ou le poisson. On pourrait dès lors s’attendre et exiger que les cantines proposent des prix plus bas lors des journées macrobiotiques.

Ne tergiversons pas davantage, et osons faire le choix d’un modèle respectueux tout à la fois de la nature, des espèces qui la composent et de notre organisme.

Délation des enseignants gauchistes : la pratique de la honte

Disons-le d’emblée, toute tentative de prosélytisme politique par l’enseignant doit être fermement condamnée. À l’instar de presque tous les textes cantonaux, le règlement d’application de la loi sur l’enseignement obligatoire (LEO) en vigueur dans le canton de Vaud est très clair : « Les élèves ne peuvent pas être utilisés pour la transmission à leurs parents d’informations à caractère de propagande politique, syndicale, religieuse ou commerciale » (art. 7). L’État, par le biais de ses employés ou de ses infrastructures – entendons par là l’affichage de symboles sur les murs de certains bâtiments –, n’a pas à véhiculer quelque croyance ou idéologie que ce soit. Celui ou celle qui dérogerait à la règle devra être clairement sanctionné.

À un régime pondéré et opérant, les Jeunes UDC désirent opposer un modèle aussi détestable que discriminant. Jugeant que la plupart des professeurs sont d’affreux gauchistes prêts à tout corrompre la relève, la jeunesse de la formation agrarienne souhaite encourager les élèves et leurs parents à revêtir les oripeaux du sycophante. Une telle démarche n’est pas sans rappeler une triste époque durant laquelle la délation du sémite était encouragée, voire ennoblie. Les coupables évoluent, les méthodes persistent.

Opération insupportable primo, puisqu’elle laisse sous-entendre que les instituteurs tentent volontairement et insidieusement d’user de leur pouvoir afin d’influencer politiquement leurs élèves. Ainsi, c’est toute la probité du corps enseignant qui est mise à mal. Apparemment, les salles des maitres regorgent de moult tartuffes.

Secundo, évaluer le degré de politisation du discours d’un pédagogue est un exercice extrêmement périlleux. Dans le cas où ce dernier serait notoirement militant, l’élève ou le parent pourrait être tenté, même inconsciemment, d’interpréter toute parole de sa part comme partisane, à travers le prisme de son propre système de valeurs. En conséquence, la proposition du président des Jeunes UDC Anian Liebrand ne ferait qu’ébranler la collaboration enseignants-parents, en faisant germer une graine de suspicion dans l’esprit de ces derniers.

Ultimo, traitement discriminatoire, du fait que seuls seraient visés les professeurs d’obédience verte ou socialiste. Pour être tout à fait cohérente, la formation blochérienne devrait au moins encourager la délation de l’ensemble des leçons orientées. Au lieu de cela, elle se positionne exécrablement en tant qu’unique détentrice de la clairvoyance. Que les magisters bourgeois dorment sur leurs deux oreilles. Ils ne seront pas visés, étant donné qu’un enseignement de droite semble légitime…

Si réellement l’école rendait les enfants gauchistes, le score du parti socialiste avoisinerait les 90% lors de chaque élection fédérale, pour la bonne raison que nous passons pratiquement toutes et tous par l’instruction publique. Or le premier parti de Suisse est, à ma connaissance, celui dont le discours tient en trois mots sur un confetti : « les étrangers dehors ».

Texte initialement paru sur le site politeia.ch : http://politeia.ch/2014/09/02/delation-profs-gauchistes-pratique-honte/

La question de la formation aux enjeux civiques

Il est un fait qui préoccupe fréquemment bon nombre d’observateurs de la vie politique helvétique : le fort abstentionnisme des jeunes de moins de 30 ans lors des votations. Si le constat parait indéniable, les moyens de lutter contre cette amère réalité sont multiples et sujets à controverse.
La chose publique ne serait pas assez funky pour susciter l’intérêt de la jeunesse. Ainsi donc, Pierre Maudet a récemment plaidé en faveur de la création d’une filière universitaire conçue pour les jeunes qui décideraient d’embrasser la carrière de politicien. Qu’une telle initiative découle d’une bonne intention, soit. Toutefois, je doute fort de son efficacité, et ce pour au moins deux raisons.

Premièrement, en professionnalisant la fonction de député ou de conseiller d’État, nous dérogerions aux principes qui fondent notre système de milice. En effet, l’homme ou la femme politique vient du peuple. Son lien avec la population se doit par conséquent d’être étroit. Or la proposition du magistrat genevois ne fera qu’accentuer le fossé censément existant entre le citoyen et ses élites, puisque ces dernières évolueront dans un microcosme social fermé. Une caste de caciques, en somme. Un modèle à l’américaine ou à la française, au sein duquel le dignitaire est une machine. Politiquement adroit, certes, mais loin de nos valeurs et de nos préoccupations.

Enfin, parce que celui ou celle qui entend étudier la gestion des affaires publiques le peut déjà. Les formations en sciences politiques, en management public ou en relations internationales existent, entre autres, dans ce but.

Plus concrètement, des mouvements ayant comme objectif de promouvoir la participation à la vie politique auprès des jeunes commencent à fleurir en Suisse. Les campagnes de mobilisation easyvote, le projet La jeunesse débat ou, dernièrement, la création de l’ARPEC (Association romande pour la promotion de l’engagement civique) sont autant de signes annonciateurs d’un changement en matière de responsabilité citoyenne, notamment chez les 18-29 ans. Laissons mûrir ces initiatives qui, à n’en pas douter, porteront leurs fruits à moyen terme.
Seule ombre au tableau, la disparition planifiée, au sein des collèges vaudois, de l’enseignement de la citoyenneté, discipline amenée à être dispensée parcimonieusement durant les heures de géographie. Évolution regrettable, si l’on conçoit le cours d’éducation civique comme un espace d’échanges, de débats et de discussions enclins à éveiller les consciences, ou encore comme un moyen d’informer les écoliers des tenants et aboutissants de notre démocratie directe.

Quoi qu’il en soit, gageons que la jeunesse, en laquelle j’ai par ailleurs une totale confiance, saura à l’avenir prendre ses responsabilités et faire entendre sa voix lors des échéances cruciales.

L’avènement préoccupant du gadget de pointe

L’ère du geste graphique semble s’achever, laissant place à celle, sournoise, de l’universalité sophistiquée. L’illectronisme devient blasphématoire.

Au sein des écoles pourtant, l’intégration des technologies de l’information et de la communication (TIC) s’avère dans certains cas avantageuse, voire nécessaire. Le risque de dérives reste toutefois palpable. Un célèbre collège privé pulliéran en est le triste exemple : il a récemment distribué 689 iPad à ses élèves. Ubuesque démesure…

Jean-Luc Velay, chargé de recherche au CNRS, affirme, dans une interview accordée en octobre dernier à la revue pédagogique Educateur, que «tous les mouvements que nous produisons quand nous sommes enfants participent à notre développement psychomoteur», ou encore que «toute action s’accompagne de retours sensoriels provenant des différents capteurs de notre corps». En résumé, travailler manuellement favorise l’apprentissage. La perception est consubstantielle à l’action. Or l’utilisation effrénée de tablettes et autres claviers empêche le geste cursif, la correspondance entre le mouvement et le signe, compliquant ainsi, dans diverses situations, l’assimilation des enseignements par le sujet apprenant.

Enfin, l’exploitation abusive des TIC, onéreuse au demeurant, engendre un second problème de poids, puisqu’elle postule, de façon sous-jacente, l’obsolescence du professionnel de l’enseignement et l’indigence motivationnelle de l’étudiant. Le professeur, entité surannée, ne serait bon qu’à dispenser d’interminables homélies, plongeant ainsi ses élèves dans les affres de l’ennui. Incapable de susciter quelque curiosité que ce soit, le maitre devrait s’en remettre à la technologie toute-puissante, elle-seule apte à éveiller l’intérêt des externes. En outre, une telle vision prête à la structure scolaire un caractère supposément démoralisant. L’école conditionnerait négativement l’enthousiasme de ses pensionnaires.

Cependant, une fois “l’effet iPad” consommé, il y a fort à parier que la ferveur didactique des écoliers  s’estompera. Il faudra alors concevoir de nouveaux procédés, aussi factices qu’éphémères, susceptibles de provoquer de l’entrain. Le high-tech n’aura été qu’une vaine chimère.

À n’en pas douter, la motivation, si elle ne parait pas inhérente à la forme scolaire, résulte donc de l’activité proposée et, dans une moindre mesure, de la personnalité de l’enseignant. Ce dernier, par le contenu de ses cours et les tâches qu’il propose, doit favoriser la construction d’un rapport au savoir propice aux apprentissages. Faire accepter à l’élève d’apprendre, c’est édifier un zèle durable, authentique, au milieu d’un environnement stimulant. Et pour ce faire, nul besoin d’apparats technologiques.

Les hors-la-loi de l’enseignement

Lors d’une journée pédagogique de formation récemment proposée par mon établissement, j’ai eu la chance d’assister à une conférence qui portait sur la différenciation à l’école. Enrichi par cet exposé, je ne peux toutefois m’empêcher de songer aux propos qui ont été tenus par l’intervenant principal, le formateur belge Stéphane Hoeben : «Tout enseignant qui prend ses distances avec le programme pour s’adapter au rythme des élèves est dans une logique de différenciation».

Cet énoncé précipite chez moi une réflexion. Ou plutôt une inquiétude : doit-on absolument être hors-la-loi et négliger le plan d’études romand (PER) pour être un bon pédagogue ?

Il ne fait aucun doute que chaque élève est porteur de caractéristiques qui fondent son unicité. Par conséquent, il parait nécessaire de différencier son enseignement, afin de donner au plus grand nombre une chance d’apprendre et de se développer. L’article 98 de la loi sur l’enseignement obligatoire (LEO) rappelle d’ailleurs cet impératif : «Le directeur et les professionnels concernés veillent à fournir à tous les élèves les conditions d’apprentissage et les aménagements nécessaires à leur formation et à leur développement. En particulier, les enseignants différencient leurs pratiques pédagogiques pour rendre leur enseignement accessible à tous leurs élèves». Ainsi donc la LEO promeut-elle de façon paradoxale une prise de distance avec le programme, avec la norme scolaire.

Le professionnel de l’enseignement doit à demeure naviguer entre fidélité au PER et transposition du savoir prodigué, ces deux pôles étant antithétiques par essence. Si l’enseignant s’obstine à ne suivre que le plan d’études, alors il escamote totalement la dimension éducative de sa mission sacerdotale. Qu’importe que l’élève ait progressé, pourvu que le PER et ses composantes jalonnent l’année scolaire. L’éducation n’est que litanie.

À l’inverse, l’instituteur qui s’éloigne du droit chemin pédagogique focalise son attention sur l’apprenant. Ce dernier devient le cœur du système. Son développement, une finalité. La planification de séquences didactiques aura pour clé de voûte l’enfant, et non pas un mémorandum à des lieues de la réalité. La gestion des différences s’érige en concept prééminent de la profession. «L’intelligence est programmée pour la création du différent», affirmait le sociologue italien Francesco Alberoni.

Est par conséquent bon enseignant celui qui sait, au besoin, s’écarter des objectifs d’apprentissages définis par le plan d’études et différencier ses approches. La désobéissance pédagogique apparait dès lors comme encouragée. Non, elle semble même inéluctable.