En démocratie, le peuple a-t-il toujours raison ?

Nicolas Morel, 16 mars 2015

On a assisté récemment à une avalanche d’initiatives fédérales d’inspiration populiste, en général issues de divers mouvements de l’extrême-droite: interdiction des minarets, renvoi des criminels étrangers, retour des contingents (“Halte à l’immigration de masse”), etc. D’autres sont encore dans le pipeline.

Une partie importante de ces textes posent des problèmes constitutionnels: soit ils ne sont pas conformes à la Constitution fédérale actuelle, soit ils contredisent des accords conclus par la Suisse au niveau international. Les textes en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’homme sont particulièrement critiquables, car ils manifestent un désaccord avec un corpus de règles généralement accepté par la plupart des démocraties de l’Europe occidentale.

Or, certains de ces textes ont été approuvés par les votants. Parfois “à la raclette” (“Halte à l’immigration de masse”, 50.3 % d’acceptation), parfois assez largement (“Contre la construction de minarets”, 57.5 % d’acceptation). Les deux exemples cités ci-dessus posent des problèmes, au niveau des accords bilatéraux avec l’Union européenne pour le premier, au niveau de la conformité avec la Convention européenne des droits de l’hommes pour le second.

En démocratie, l’ensemble des votants est qualifié de “souverain”. En d’autres termes, il est censé avoir le droit de décider en dernière instance du sort de notre législation. Mais peut-on laisser les votants décider de textes inapplicables, inconstitutionnels ou illégitimes ?

Prenons un exemple extrême: un mouvement d’inspiration néo-fasciste lance une initiative pour réintroduire la peine de mort en Suisse. Ou encore pire, pour autoriser la torture dans certains cas particuliers. Serait-il acceptable que le peuple suisse vote sur ces sujets, au risque (si la propagande populiste est bien faite, ce qui est tout à fait possible dès lors que le mouvement dispose d’un budget de campagne très important) de les accepter ?

Actuellement, aucun examen préalable des intiatives n’est effectué, à part un examen simplifié sur la recevabilité du texte proposé sur le plan de sa forme. Ne faudrait-il pas introduire un examen tenant compte non seulement de la forme mais encore de la compatibilité de l’initiative avec la législation en vigueur, y compris les traités et conventions auxquels la Suisse a adhéré ?

Que faire si une initiative viole cette législation ? Il y a essentiellement deux options possibles:

  1. On laisse aller l’objet jusqu’au scrutin populaire. Lors du vote, on avertit de manière très claire les votants de la contradiction que l’initiative apporte dans notre législation, quelles seront les difficultés de mise en oeuvre, et quels seront les inconvénients qui résulteront de l’acceptation de cet objet.
  2. De manière plus radicale, on déclare nulle toute initiative qui ne passe pas un examen préalable, et on ne la soumet pas au vote.

Ma position personnelle est celle de la rigueur: la démocratie doit être encadrée par des règles strictes. En d’autres termes, pour répondre à la question posée dans le titre: non, le peuple n’a pas toujours raison. C’est d’ailleurs déjà le cas sur le plan formel. Il faudrait simplement que cette règle inclue également la conformité du contenu avec la législation actuelle, y compris les règles supra-nationales auxquelles nous avons adhéré.

Il est notamment très important que les principes contenus dans la Convention européenne des droits de l’homme soient respectés. Une initiative non conforme à ces règles doit être purement et simplement rejetée sans être soumise au vote populaire. L’examen doit être effectué par une instance neutre telle qu’une Cour constitutionnelle (et non pas par les Chambres fédérales, l’examen n’étant pas de nature politique mais juridique).

La proposition émise par le plus important parti suisse d’extrême-droite, consistant à sortir de la Convention européenne des droits de l’homme, sous le principe “Non aux juges étrangers”, est particulièrement pernicieuse et devra être combattue avec la plus grande énergie par les forces démocratiques de notre pays.

Et finalement, que faire des textes mal foutus qui ont déjà été acceptés, tels que les deux exemples cités précédemment (“Halte à l’immigration de masse” et “Contre la construction de minarets”) ? Pour le premier, la moins mauvaise solution me semble être un vote populaire sur les Accords bilatéraux avec l’Union européenne. Si les Accords bilatéraux sont confirmés par le résultat du vote, alors le texte “Halte à l’immigration de masse”, en contradiction avec les Accords bilatéraux, doit être définitivement jeté à la poubelle. Pour le second, dès lors que l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme est en vigueur, il reste irrecevable (liberté de culte et discrimination) et doit également être éliminé.

ANNEXE: LES INITIATIVES FEDERALES (ET LES TEXTES RESULTANT D’UNE INITIATIVE) PROPOSEEES AU VOTE POPULAIRE DE 2001 à 2014 (OBJETS D’INSPIRATION POPULISTES)

  • Novembre 2002: Contre les abus dans le droit d’asile. Initiative refusée.
  • Février 2004: Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables. Initiative acceptée.
  • Septembre 2006: Modification de la loi sur l’asile (dans le sens d’un durcissement). Projet de loi accepté.
  • Juin 2008: Pour des naturalisations démocratiques (soumises à un vote populaire). Initiative refusée.
  • Juin 2008: Souveraineté du peuple sans propagande gouvernementale. Initiative refusée.
  • Novembre 2008: Pour l’imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine. Initiative acceptée.
  • Novembre 2009: Contre la construction de minarets. Initiative acceptée.
  • Novembre 2010: Pour le renvoi des étrangers criminels. Initiative acceptée (contre-projet refusé).
  • Juin 2012: Pour le renforcement des droits populaires dans la politique étrangère (accords internationaux: la parole au peuple !). Initiative refusée.
  • Juin 2013: Election du Conseil fédéral par le peuple. Initiative refusée.
  • Juin 2013: Modification de la loi sur l’asile (dans le sens d’un durcissement). Projet de loi accepté.
  • Février 2014: Financer l’avortement est une affaire privée – Alléger l’assurance maladie en radiant les coûts de l’interruption de grosselle de l’assurance de base. Initiative refusée.
  • Février 2014: Contre l’immigration de masse. Initiative acceptée.
  • Mai 2014: Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants. Initiative acceptée.
  • Novembre 2014: Halte à la surpopulation – Oui à la préservation durable des ressources naturelles. Initiative refusée
  • Novembre 2014: Sauver l’or de la Suisse. Initiative refusée.

 

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