Réforme de l’imposition des entreprises: mon oeil!

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J’ai étudié avec attention le fascicule édité en novembre 2007 par le département de Hans-Rudolf Merz au sujet de la votation du 24 février 2008 concernant “l’imposition des entreprises” (document pdf). J’avoue avoir été frappé qu’un document officiel et sérieux destiné aux citoyens puisse à ce point s’apparenter à de la propagande! Petite analyse de texte pour mieux vous permettre de dire NON à cette réforme sans crainte de mettre en péril des emplois…

En résumé, la réforme vise principalement à accorder d’importants allègements fiscaux aux gros actionnaires (détenant plus de 10% du capital). D’abord au plan fédéral (IFD), puis au niveau cantonal et communal sous la pression de la concurrence fiscale de plus en plus forte entre cantons. La Confédération estime à 56 millions de francs par an sa perte de recettes. Les cantons et les communes vont subir une perte évaluée à 1 milliard (0,5 pour l’imposition partielle des dividendes et 0,5 pour l’imputation de l’impôt sur le bénéfice à l’impôt sur le capital). Pour le canton de Vaud, on peut estimer le manque à gagner à un dixième, soit 100 millions de francs par an. A noter que le comité référendaire estime pour sa part que la baisse de recettes fiscales pour la Confédération et les cantons pourrait atteindre 2 milliards de francs par an. C’est environ deux fois plus que les estimations “officielles”. L’écart s’explique par le fait qu’il est impossible de dénombrer les bénéficiaires de ce futur régime et encore moins l’incidence qu’il pourrait avoir sur leurs décisions économiques (par ex. sortir des bénéfices de l’entreprise dont on détient plus de 10%).
Le paquet est vendu avec des slogans plaisants: “renforcer la compétitivité de la place économique suise”, “soutenir les PME”, “relancer l’économie et la création d’emplois”, “favoriser les start-up innovantes”, etc. Au final, tout le monde sera content. Les gros actionnaires, bien sûr, mais aussi les collectivités publiques qui vont récupérer les fruits de la croissance et les salariés qui n’auront plus à craindre le chômage.

Le principal argument est que l’investissement – et donc la croissance du PIB – se porte d’autant mieux que la charge fiscale qui pèse sur les dividendes est faible. Le système actuel de “double imposition” (impôts sur les bénéfices de l’entreprises et sur les dividendes encaissés par l’actionnaire) pèserait aujourd’hui en Suisse 53,1%. Si la réforme est acceptée, cette charge ne serait plus que de 40,4%. Fort bien. Mais le tableau présenté par le Département fédéral des finances (DFF) tendrait à montrer qu’il existe un lien inverse. Parmi les pays où ce taux se situe entre 48 et 59%, on trouve (outre la Suisse) les USA, le Canada, l’Allemagne, la France et le Danemark. A l’autre bout de l’échelle, on trouve dans la catégorie 19 à 40% des pays comme la Slovaquie, la Grèce, le Mexique ou la Pologne. Peut-être existe-t-il une relation entre, d’une part, la qualité de la formation, de la recherche, des infrastructures et, d’autre part, l’attractivité d’un pays pour les entreprises. Ou si l’on veut un lien positif entre la charge fiscale et le volume des prestations publiques.

La matière étant touffue, je me bornerai donc à commenter quelques-unes des affirmations contenues dans cette brochure.

Sachant que le propriétaire d’une entreprise peut choisir entre se servir un salaire ou un dividende plus élevé, la première critique que l’on peut adresser à ce projet est qu’il crée une injustice fiscale entre les salaires, soumis aux cotisations sociales et à l’impôt sur le revenu, et les revenus de la fortune, soumis à l’impôt sur le bénéfice (la fameuse “double imposition”) mais en partie seulement à l’impôt sur le revenu. Selon la situation personnelle du contribuable, il pourrait préférer à l’avenir se verser moins de salaire et plus de dividende. Il en résulte une perte de recettes pour les assurances sociales, notamment pour l’AVS. La Confédération estime la diminution de recettes de 86 à 130 millions, tandis que les opposants la chiffrent à 150 mios. C’est vrai que, comme le relève le DFF, c’est peu de chose en regard des 27 milliards annuels qui tombent dans les caisses AVS. Mais, au juste, comment parvient-on à calculer ces incidences avec une telle précision sans conn tre la population des bénéficiaires de ces cadeaux fiscaux ni leurs nouveaux comportements? C’est probablement du pifomètre. Comme la fourchette de 23 à 67 millions (notez la précision) des nouvelles recettes que l’AVS, l’AI et l’APG pourraient encaisser à “long terme” du fait de la croissance de l’emploi induite par les cadeaux fiscaux.

Une autre injustice serait introduite par la limite des 10% qu’il faut détenir pour être mis au bénéfice de l’abattement. Tant pis pour les employés qui sont porteurs de quelques actions de leur entreprise, seuls les patrons bénéficieraient de l’abattement. Et que va penser le patron qui ne possède que 9,8% de son entreprise? Ou, plus choquant encore, qui en possédait 15% et qui tombe à 9,8% suite à une augmentation de capital à laquelle il n’a pas pu souscrire? Il faut préciser que ce sont les cantons qui ont fait pression pour que cette limite de 10% soit introduite dans l’idée que l’on ciblerait ainsi les “actionnaires actifs”, à savoir ceux qui travaillent dans l’entreprise et “créent de la richesse et des emplois”. Mais c’est une supputation tout à fait hasardeuse que de considérer que le propriétaire d’un paquet d’actions représentant 10% du capital est aussi salarié de la société de capitaux en question. Je pense même que seule une minorité des bénéficiaires de la réforme se trouve dans ce cas-là. Et le DFF n’est pas en mesure de me démontrer le contraire. Ce qui n’empêche pas le Conseil fédéral d’affirmer que “cela permettra de garantir que soient récompensés les investisseurs impliqués dans la gestion de l’entreprise et non ceux qui se contentent de détenir d’importants portefeuilles d’actions”. Voyez comme le mensonge est habile! On parle “des portefeuilles”, autrement dit d’actionnaires détenant de nombreuses parts inférieures à 10% dans une multitude de sociétés, ce qui explique que ces portefeuilles soient “importants”.

Mais le véritable slogan à l’appui de la réforme, c’est l’effort consenti en faveur des “quelque 300’000 PME et ainsi en premier lieu à la classe moyenne”. On se garde bien de préciser que ces efforts fiscaux ne concernent que celles qui sont constituées sous la forme de sociétés de capitaux. On sait pourtant que la plupart des PME sont des sociétés de personnes (société simple, SNC, etc.). Alors si vous faites partie de la “classe moyenne”, que vous êtes propriétaire d’une PME et que vous votez avec votre porte-monnaie, prenez la peine de vérifier que vous obtiendriez bien quelques cacahuètes de cette réforme!

Je souhaite évoquer une dernière incongruité. Le DFF nous explique que les PME “se couvrent de dettes” car le financement par les fonds propres est fiscalement trop désavantagé. Cependant, la réforme vise à “renforcer l’incitation à distribuer des dividendes” et à éviter que les bénéfices ne s’accumulent dans l’entreprise. Le DFF dit aussi que le moyen fiscalement le plus avantageux pour financer les investissements dans l’entreprise c’est l’autofinancement. Autrement dit, pour maximiser la capacité d’investissement des PME il faudrait les inciter à consolider leurs fonds propres plutôt qu’à les distribuer aux principaux actionnaires!? J’avoue que, en tant qu’économiste, je ne comprends pas la motivation économique des défenseurs de cette réforme…

La réalité politique est pourtant simple. Il ne s’agit pas de réformer “l’imposition des entreprises” mais d’accorder des abattements fiscaux à une toute petite minorité de gros actionnaires (>10% du capital). Ce revenu disponible en supplément ne sera certainement pas investi dans l’entreprise (on ne va pas le sortir et payer des impôts – même réduits – pour le réinjecter immédiatement après!), mais placé sur les marchés boursiers, à l’étrnager, là où cela rapporte!

3 réflexions au sujet de « Réforme de l’imposition des entreprises: mon oeil! »

  1. A l’autre extrêmité de l’échiquier politique – si j’ose dire – l’avis d’un émérite professeur de finances publiques de l’Université de St-Gall, relayé par Domaine Public, qui pense que pour éviter la “double imposition des dividendes” on pourrait réduire encore l’imposition des bénéfices: http://www.domainepublic.ch/files/articles/html/9735.shtml

    En ce qui me concerne, je plaiderais plutôt pour l’imposition des gains en capital réalisés par des personnes physiques, symétrique à  celle que subissent les entreprises (ces gains, constatés sur la base des cours au 31.12, entrent dans le bénéfice imposé, alors qu’il ne sont pas fiscalisés s’ils résultent de participations personnelles). Mais j’admets qu’il faudrait accompagner cette règle nouvelle d’un système, là  aussi comparable à  celui qui prévaut pour les entreprises, d’imputation des pertes passées sur les gains des années suivantes, ce qui compliquerait singulièrement l’imposition des personnes physiques.

  2. Caramba, encore raté! Et si je m’étais investi un peu plus dans cette campagne référendaire? Etait-il possible de compenser ces misérables 20’000 voix d’avance pour le OUI? Bon, il faut que j’arrête de broyer du noir et que je me prépare à  minimiser les dégats liés à  la traduction dans le droit fiscal vaudois de la “volonté populaire” exprimée ce 24 février 2008…

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