Les politiques de relance manqueront de pétrole

ASPO peak oil

(source: Association for the Study of Peak Oil&Gas, ASPO)

Comme chaque année, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) vient de publier son World Energy Outlook 2010. Elle constate que la production mondiale de pétrole a atteint un maximum en 2006 avec 70 millions de barils par jour (Mb/j). Depuis, cette valeur oscille entre 68 et 69 Mb/j. C’est assez précisément ce que prévoyait depuis longtemps l’ASPO (cf. graphique ci-dessus). Le Monde s’étonne sur son site Internet que cette nouvelle n’ait pas eu l’effet d’une bombe.

En réalité, le plus fou, c’est que l’AIE s’évertue à calculer la croissance de la demande en produits pétroliers à l’horizon 2035. Certes, son scénario de référence, baptisé “450” (comme 450 ppm de CO2 dans l’atmosphère), mise sur l’efficacité des politiques publiques pour m triser la croissance exponentielle de la consommation d’énergie. Ce scénario permet de tabler sur un long plateau de production à 68 Mb/j jusqu’en 2035. A y regarder de plus près, ce scénario apaisant postule la découverte et l’exploitation de réserves inconnues à ce jour et équivalant à deux fois la production actuelle de l’Arabie saoudite, premier producteur mondial (voir http://groups.google.com/group/objectif-resilience/browse_thread/thread/52a18298a23b4ec1).

Je le répète depuis des années: pour éviter une explosion des cours du pétrole et une crise économique et sociale majeure, il faut dès à présent réduire notre consommation de 2-3% chaque année. Le problème est que pour cela des investissements publics massifs doivent être consentis – par exemple, pour développer l’offre en transports publics ou rénover le parc immobilier – et que leur réalisation va demander au moins 10 ans. En Suisse, la m trise des dépenses publiques et le désendettement de la Confédération conserve la priorité. Et ce n’est pas l’arrivée de Doris Leuthard à la tête du DETEC qui va changer la donne… Alors: wait and see (je ne sais pas comment on dit en suisse allemand).

13 réflexions au sujet de « Les politiques de relance manqueront de pétrole »

  1. En Suisse allemand : “Wart und lueg !”

    Ce message ne passe pas, parce qu’il est inaudible, écrasé par les messages qui vont en sens contraire :

    – publicités pour aller à  Paris en avions Easy jet, moins cher qu’en train
    – publicités pour des voitures vertes ou écologiques ou encore propres (si elles sont toutes ces qualités, ça baigne !)
    – action politique ciblée avant tout sur l’économie (l’écologie, c’est un amusement de riches… n’est-ce pas ?)
    – etc.

    Le sentiment dominant est que le problème n’est pas grave et que nous en faisons déjà  bien assez, puisque les autorités ne semblent pas s’agiter plus que cela. En effet, elles sont surtout occupées à  distribuer des lunettes noires au passager du véhicule qui fonce vers la falaise…

    Et je ne suis pas sûr que les oxymores du type “développement durable” contribuent à  montrer que l’enjeu est une véritable CRISE.

  2. Sur le même sujet, l’émission d’Arte toute récente (25/11/10), “Le dessous des cartes”. 12 minutes pour comprendre. Merci à  Monsieur Marthaler pour oser aborder ouvertement ce sujet.

    “Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire.” Jean Jaurès

  3. @Daniel
    L’explication de cet aveuglement général relève certainement de la psychologie de l’être humain qui, très majoritairement, peine à  se remettre en question sans y être contraint par les événements qui le touchent directement. D’autant qu’il existe quantité de bonnes excuses: “la mort des forêts ne s’est pas confirmée”, “les experts ne sont pas d’accord entre eux sur les causes du réchauffement climatique”, etc.

    Mais je ne suis pas d’accord avec l’idée que le développement durable serait un oxymore. Il ne faut pas confondre développement et croissance. Un développement qualitatif peut tout à  fait se concevoir parallèlement à  une réduction des ressources consommées, une diminution des impacts sur l’environnement et une plus grande équité sociale. Avant l’avénement de la société de consommation, des civilisations admirables se sont développées sans pour autant détruire leur environnement et condamner les générations futures. Le concept de développement durable permet de rallier une majorité au nécessaire changement de paradigme. Attention à  ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain!

  4. @Richard Golay
    Merci pour ces différents liens. Je ne doute pas que les Verts vont continuer à  s’intéresser au sujet. Je compte d’ailleurs sur eux pour amener ce sujet sur la table de l’UE en réclamant la mise sur pied d’une commission d’experts pour suivre le peak oil sur le modèle du GIEC pour le climat.

  5. Bonjour,
    Vous ne tenez pas compte, les uns et les autres, des récents “progrès” dans l’extraction du gaz “non conventionnel” ou “de sciste”. On a repéré des réserves pour des centaines d’années de consommation. Son extraction posera de nouveaux problèmes environnementaux, mais les promoteur du développement “durable ou pas” s’en ficheront…
    Premiers signes sur le marché.Les USA qui avaient construit des terminaux pour importer du gaz liquide, sont devenus des exportateurs… Et les prix sur le marché du gaz se découplent de ceux du pétrole et baissent.
    Je pense donc que les prévisions de prochaines pénuries se révéleront fausses. Ou plutôt que, après de courtes pénuries, la fourniture se rétablira à  partir de gaz et de charbon.

  6. @Christian van Singer
    Ces nouvelles ressources sont bien évidemment prises en compte dans le modèle de l’ASPO (catégorie “heavy”). Outre les coûts d’extraction et les impacts écologiques monstrueux, ces gisements ne parviendront pas à  compenser la déplétion des ressources conventionnelles.

    Aujourd’hui, les prévisions et données sur les réserves sont fausses (les quotas OPEP sont répartis selon les réserves annoncées!) et pourtant le marché fonctionne. Peu importe donc si les pronostics sont vrais ou faux: la crise surviendra quand le marché sera convaincu que la pénurie existe. Les statistiques de production diffusées par l’AIE vont renforcer cette opinion – aujourd’hui minoritaire – dans la mesure où elles ne permettent pas d’en inférer que la production va continuer à  suivre la croissance exponentielle de la demande.

    Meilleures salutations.

  7. @François :

    Défini ainsi, le “développement” pourrait être éventuellement “durable” (et il n’est évidemment pas question de confondre croissance et développement). Mais tu es à  mon sens très minoritaire avec cette définition-là  du développement, surtout quand on se réfère aux diverses “théories du développement” qui ont jalonné le siècle !

    Je ne suis donc pas du tout persuadé que la formulation “développement durable” (oxymore lorsqu’il est entendu comme par le passé) permette de mettre le doigt sur la véritable crise que nous affrontons, mais j’ai plutôt l’impression qu’il permet de “jouer la continuité tranquille”. Les admirables civilisations du passé auxquelles tu fais référence n’avaient pas de notion telle que le “développement” (qu’un étudiant du professeur Rist à  l’ex-IUED avait traduit dans sa langue africaine pas “la chose du blanc”).

    Les conceptions actuelles du développement (mais aussi de la croissance et même du progrès) de notre société ne tiennent que sur le brûlage du carbone géologique (gaz, charbon, pétrole et dérivés). Les autres énergies ont encore actuellement (malgré des milliers de pages consacrées) un rôle accessoire. Je les vois mal succéder tranquillement à  la vague carbonique sans soubresaut, mais peut-être suis-je trop pessimiste…

    Je comprends bien tes efforts pour faire passer le “souci écologique”, mais cette expression continue à  me faire mal aux oreilles : la grammaire veut que ce soit ainsi le développement (et tout ce qu’on veut bien y mettre… les minoritaires décident moins ce qu’on y met, de fait) qui soit durable, plutôt que la civilisation… 🙁

  8. @Daniel Schà¶ni Bartoli

    Je suis ravi de voir qu’entre la rédaction de deux articles pour Domaine Public ou ton blog tu trouves encore le temps de parcourir le mien!

    Tu as raison: la civilisation à  laquelle nous appartenons est mue par l’idée de “croissance”, de “développement” ou de “progrès”. D’autres sociétés – qui ont parfois duré des millénaires – semblaient surtout occupées à  se maintenir dans leur richesse, leur organisation et leurs valeurs. La nôtre est organisée comme le vélo: si tu arrêtes de pédaler, tu t’arrêtes et tu tombes. En fait, c’est plus grave encore, car il faut que le vélo soit pratiquement en accélération constante!

    Tout ce mouvement se mesure en terme de produit intérieur brut (PIB). Les thuriféraires de l’économie de marché définissent volontiers la croissance du PIB comme la mesure de la “création de richesse”. En réalité, le PIB réel exprime un volume d’échanges monétarisés de biens et de services, ou, si l’on préfère, une vitesse de circulation de la monnaie au sein du système économique. Ainsi, la croissance du PIB exprime une accélération de la circulation monétaire, sans qu’il soit nécessaire qu’il y ait plus de richesses dans la société. Il suffit, par exemple, pour faire croître le PIB de “monétariser” des échanges de biens et services qui ne l’ont pas toujours été: garde des enfants, aide à  domicile, soins aux personnes gées, etc.

    Cette croissance-là  ne pose guère de problème et n’engendre pas une consommation supplémentaire (trop importante) de matières premières et d’énergie. A certains égards, l’économie “sociale et solidaire” contribue à  cette composante de la croissance du PIB.

    On peut aller plus loin encore et démontrer que dans certains cas, la croissance du PIB s’accompagne d’une diminution de la richesse des ménages. Mon expérience d’un quart de siècle à  La Bonne Combine m’a permis de vérifier que la baisse des prix des biens d’équipement du ménage (cuisinière, machine à  café, téléviseurs, etc.) est plus que compensée par une réduction de leur durée de vie. Résultat: on en a de moins en moins pour son argent. Et pourtant, nous sommes réputés disposer d’un pouvoir d’achat plus fort que celui de la génération précédente!

    Tout cela pour dire que le PIB n’est pas une mesure très pertinente. Alors qu’il croisse ou décroisse m’importe guère. Je ne suis donc ni un adepte de la croissance ni un défenseur de la décroissance. L’important c’est que la société fonctionne de manière soutenable, sans détruire son environnement et en améliorant l’équité dans l’accès aux ressources matérielles et immatérielles. C’est comme cela que je conçois le développement durable. Dans ce contexte, “développement” signifie “évolution” ou “amélioration”.

    L’effet de ce développement durable sur la croissance reste indéterminé. Par exemple, la mise sur le marché de biens plus durables et réparables réduirait le volume des ventes, mais pourrait accroître le chiffre d’affaires (produits meilleurs et donc plus chers) et engendrerait une croissance des activités de réparation. De même, un report vers des énergies renouvelables plus coûteuses entraînerait une diminution de la production de biens et services énergivores, mais accroîtrait l’activité dans le secteur de ces nouvelles énergies et l’efficience des processus de production.

    Au final, si pour s’engager sur la voie du développement durable certains ont besoin de croire que c’est le seul moyen pour sauver le modèle de croissance exponentielle du PIB, je veux bien les conforter dans cette illusion…

    🙂

  9. @François : je trouve toujours le temps de parcourir les blogs intéressants… 😉

    La discussion glisse du développement à  la croissance, comme souvent. Est-ce inévitable ?

    Je suis tout à  fait d’accord avec ta conception en “brassage d’air” de la croissance du PIB. Il n’indique en somme que la circulation monétaire. Cela dit, il a un lien manifeste avec la croissance réelle, soit celle de la consommation de ressources et de la production de déchets. Depuis l’appel du Club de Rome, ce lien ne s’est jamais démenti.

    Ce qui ne m’empêche pas de souscrire aussi à  ton propos : au fond, croissance ou décroissance, là  n’est pas vraiment la question. Ce qui importe, c’est le projet de société. Malheureusement, le sens du courant est aujourd’hui de se soumettre à  la croissance en tant que but (et non en tant que moyen). Notre système monétaire fou nous oblige à  la croissance du PIB qui se traduit ensuite en croissance de la consommation des ressources et de la production de déchets.

    Alors, d’accord pour un “développement durable” s’il est entendu hors de l’impératif de croissance. Elle doit rester un éventuel moyen à  son service et non l’inverse. Ce qui permettrait de faire croitre l’éducation, la culture, les échanges humains et faire décroître la pollution, l’extraction de carbone et l’accumulation de déchets toxiques.

    La majorité économico-médiatico-politico-publicitaire au pouvoir comprend le développement durable comme la continuité peinte avec du vert. Et nous, les autres, sommes-nous capables de penser un développement hors de l’objectif suprême de croissance ? Ce qui est sûr, c’est que le développement humain stagne méchamment…

    Et en passant : joyeux anniversaire ! 🙂

  10. @ Marthaler : ‘sûr qu’un “GIEC du peak oil” va faire avancer le schmilblic ! 😉 Au passage, accrochez-vous pour 2011 : le projet CLOUD du CERN va sortir ses 1ers rapports ; de sérieux nuages qui menacent le soleil déjà  voilé du GIEC ! En clair, pour expliquer à  la population suisse la nécessité de tendre vers l’autonomie énergétique, il serait plus avisé de communiquer sur les crises prochaines en ressources pétrolières (j’abonde dans votre sens en réponse à  CVS) que sur l’empreinte CO2 de la chair des vaches bio de la Gruyère (exemple tiré au hasard) !

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Organisation_europ%C3%A9enne_pour_la_recherche_nucl%C3%A9aire#CLOUD

  11. @Richard Golay

    Les recherches du CERN apporteront peut-être des compléments (voire des contre-arguments) à  la théorie actuelle sur l’évolution du climat. Mais en aucun cas elles n’apporteront des solutions au problème du pic pétrolier, tout comme d’ailleurs aux changements climatiques. C’est le propre de la recherche fondamentale.

    Merci quand même pour cette information que j’ignorais jusqu’ici.

    Meilleures salutations.

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