Voiture électrique: virage technologique ou mirage écologique?

voiture électrique

(source: http://cifatpopa.unblog.fr/2008/04/07/les-voitures/#)

J’ai reçu l’autre jour une magnifique brochure de propagande pour la voiture électrique (pdf, 7,12 Mo) éditée par le Forum suisse de la mobilité électrique. Cette organisation a été créée par le TCS et les électriciens suisses. Pas étonnant, dès lors, qu’elle plaide pour une “écologisation” de la voiture et l’utilisation accrue d’une énergie “propre” (“zero emission”), l’électricité, plutôt que pour une modification des notre mobilité. A l’heure où le Conseil fédéral propose de sortir du nucléaire – notamment au travers d’une réduction de nos consommations d’énergie électrique – on peut s’étonner de ce que certains imaginent des projets qui accroissent la demande.

Mais je note que le sous-titre de la brochure en question précise: “analyse critique de dix demi-vérités circulant sur la voiture électrique”. Entendez par là qu’il existe des arguments qui plaident contre la voiture électrique et que ces derniers ne sont pas toujours entièrement infondés! On peut ainsi lire: “il est vrai que si la propulsion est assurée par de l’électricité provenant d’une centrale à charbon, le moteur électrique est décalé par rapport à un moteur diesel efficace”. Certes, “si la voiture électrique est alimentée par de l’énergie renouvelable, elle bat largement la voiture diesel par son bilan CO2”. Mais les énergies renouvelables doivent principalement être développées pour remplacer le nucléaire, le gaz et le charbon et pas pour couvrir des besoins nouveaux!

S’agissant de la nécessaire augmentation de production d’électricité, la brochure relativise son importance. Ainsi, en cas d’électrification de tout le parc automobile de Suisse sur 20 ans, l’augmentation de la demande ne représenterait que 1-2% par an, soit moins que la croissance naturelle constatée ces dernières années. C’est une façon de présenter les choses qui inquiète moins que le résultat au bout de ces 20 ans: + 22% à + 49% de la consommation d’électricité venant s’ajouter à la croissance naturelle et à laquelle il faudrait additionner la croissance démographique et celle de la mobilité devenue “écologique” et sans retenue!

Le rêve serait un véhicule sans émissions polluantes alimenté à partir de panneaux photovoltaïques. La chose semble aujourd’hui déjà parfaitement réaliste, puisqu’il suffirait de 10 m2 de capteurs photovoltaïques (1000 kWh) pour couvrir les besoins d’un véhicule parcourant 6’000 km par an. La distance moyenne parcourue par une voiture est plutôt de 12’000 km, soit le double. Ces chiffres me semblent sous-évalués, mais je ne suis pas en mesure de le démontrer. Qu’importe. Ici aussi, il faut imaginer le résultat final: il faudrait déployer 80’000’000 m2 de capteurs photovoltaïques ou 10 m2 par habitant. Ce qui peut se concevoir sur le toit d’une grosse villa familiale (40 m2 pour 4 personnes) n’est tout simplement pas réaliste en ville.

Dans un article récent publié dans Le Temps et dans la revue Tracés, Lino Guzzella de l’EPFZ fait un calcul qui me par t plus crédible. “Avec 1000 heures d’ensoleillement en Suisse par année et sachant qu’il faut 20 kWh pour parcourir 100 km, pour que tous les automobilistes suisses roulent à l’électrique (25’000 km/an), il faudrait 40 m2 de panneaux solaires par conducteur, à condition de pouvoir injecter directement cette électricité dans les batteries de voiture.” Ce dernier point est important, car si le courant produit doit être transformé et transporté le jour pour charger des barrages qui restituent la nuit un courant retransformé et retransporté, il faudrait compter avec des pertes de l’ordre de 50%. On passe alors à 80 m2 par conducteur et 160 m2 pour la villa familiale avec 2 voitures.

Comme le dit Lino Guzzella, “en ville, il faut se déplacer à pied, à vélo ou en transports publics; nous n’avons aucun besoin d’une voiture spécifique pour la ville, c’est absurde sur la plan environnemental”. Et sur les longues distances, c’est le train qui s’impose, toujours imbattable du point de vue énergétique et écologique.

La voiture électrique a tout du mirage écologique. Loin de contribuer à la résolution du défi énergétique, elle l’aggrave et prolonge l’utilisation du nucléaire, du charbon et du gaz. Cependant l’idée séduit certainement ceux qui ont les moyens de se payer une mobilité en apparence non polluante sans remettre en question leur mode de déplacement et avec, en prime, la perspective de bonnes affaires dans la production de véhicules, de batteries et d’énergie.

Je ne vais tout de même pas terminer mon plaidoyer contre la mobilité électrique sur une note trop critique. En effet, le moteur électrique est extraordinairement performant, mais il ne faut pas l’installer sur un engin de 2 tonnes. Pour déplacer un individu de 70 kg, un vélo suffit et l’assistance électrique rend ce véhicule parfaitement confortable, même pour le plus flemmard. Il est même probable, vu le modeste rendement de la “machine” humaine, que l’énergie grise nécessaire à nourrir le cycliste dépasse celle qu’il faut pour alimenter le moteur électrique!

Pour la voiture électrique, je ne lui concède qu’un domaine d’utilisation: les déplacements professsionnels en ville, dès lors qu’il faut déplacer du matériel. Et à condition d’être alimentée par une source locale en énergie renouvelable.

4 réflexions au sujet de « Voiture électrique: virage technologique ou mirage écologique? »

  1. Excellent article.
    Je partage en tout point votre argumentation.
    J’ai toujours trouvé “insensé” le projet de voiture électrique pour les raisons que vous mentionnez, mais il y en a une sur laquelle votre article fait l’impasse: la problématique des batteries.
    Même si la technologie des batteries évolue sans cesse. Ces dernières, en l’état actuel, alourdissent considérablement le poids des véhicules et donc réduisent considérablement l’intérêt écologique de ce type de véhicules.
    De plus, les batteries, qu’elles soient Li-Ion / Li-Po / Ni-Mh ou autres sont problématiques du point de vue recyclage.

    La propulsion électrique fait sens pour les vélos et autres cycles/motocycles légers , mais pas pour les voitures.

  2. Evidemment, la question des batteries est centrale et je ne l’oublie pas. Si on pouvait stocker dans un morceau de sucre de quoi faire rouler une voiture sur 500 km, la voiture électrique se serait généralisée depuis longtemps. Malheureusement, les lois de la physique s’imposent, quel que soit le génie de nos ingénieurs ou notre envie de protéger la planète!

  3. Cher François, Cela fait un moment (4-5 ans, regardez notamment les publications des conférences comme la sienne sur http://www.satw.ch/mobility2030/) que je suis les développements du professeur Lino Guzzella et que je les applique à  titre personnel donc un bon choix pour la base de ton exposé. Plus prosaïquement je me demandais si l’acheteur lambda de voiture électrique ne devrait pas aussi financer ou équiper le montant équivalent de panneaux photovoltaïques correspondant à  sa consommation (sur son domicile ou ailleurs). Cela donnerait comme dans ton calcul entre 40 et 80 m2 de panneaux. Un grand total à  la fin comme tu le prédis, mais avec un financement supplémentaire peut-être pourrait-on l’aménager quand même ? Tel est véritablement le prix global du véhicule automobile 100% électrique (grosso modo le double de son prix de vente de marché). Ensuite l’argumentation de Jean-Hugues et ta réponse (très juste aussi au sens du rendement de l’humain, bravo) permettent de développer aussi la vision plus légère … Sous cette forme (apparemment coûteuse, mais en fin de compte pas tant que cela – qui compense ses émanations de CO2 d’auto par des versements ?) la voiture électrique reprend du sens (“je veux dire de signification”). la porte n’est peut-être pas si fermée que cela … Loin de moi la volonté de lancer une polémique, juste de montrer que certains moyen-termes sont des chemins de traverse possibles entre personnes de bonne foi.

  4. Cher Antoine, Mes propos critiques s’adresse essentiellement à  ceux qui pensent qu’il suffira que les constructeurs proposent d’autres systèmes de motorisation propre pour ne rien changer au reste. Avec des idées comme la Twike, qui nécessitent de repenser notre mobilité, c’est une toute autre affaire! Cordialement.

    François

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