Halte au recyclage! Provocation ou annonciation?

DontRecycle-blog

(Source: http://ifixit.org/, communauté entièrement dédiée à la réparation des appareils)

Pour moi qui ai oeuvré durant plus de 10 ans dans le domaine du recyclage (BIRD, Bureau d’investigation sur le recyclage et la durabilité) et dirigé la première entreprise romande agréée par la SWICO pour le recyclage des appareils électroniques, ce titre “Don’t recycle” m’a fait sursauter… Mais je me suis rapidement convaincu que Internet est en train de changer la donne et devrait rapidement freiner la dérive de notre société du prêt-à-jeter. Fort de cette conviction, je me suis mis en tête de lancer la première marque d’ordinateurs durables!

La plate-forme commerciale et collaborative http://www.ifixit.com/ qui publie des milliers de guides de réparation illustrés et propose les pièces détachées, ainsi que les outils spéciaux nécessaires. Parfois, lorsque la pièce détachée d’origine n’est plus disponible ou alors qu’elle est vendue à un prix dissuasif, ifixit propose des pièces d’occasion à prix cocurrentiel. Il redevient possible de faire durer même des appareils de moindre valeur ou très sophistiqués.

Chaque guide illustre, étape par étape, toute l’opération de réparation, chaque photo étant accompagner d’explications, de mises en garde ou de précisions quant à l’outil approprié. La plate-forme est collaborative et chacun peut ajouter un commentaire et faire état de son conseil pour réaliser aisément telle ou telle opération.

Ne supportant plus de se laisser dire le vendeur que la réparation de leur appareil coûterait plus cher que le neuf – par ailleurs “plus performant” -, des dizaines de milliers de personnes ont tenté de réparer eux-mêmes. Et ça marche! L’enquête 2013 conduite auprès de 13’000 utilisateurs de ifixit en dit long sur le succès du modèle… Dans 91% des cas, les gens sont arrivés avec succès au bout de la réparation. Fort d’un première expérience positive, ils ont réparé en moyenne 7 appareils dans l’année, très majoritairement des laptops, des smartphones et des tablettes, précisément les produits dont le rythme de renouvellement est le plus rapide. Mais leur intérêt est probablement financier aussi et pas strictement écologique. En effectuant eux-mêmes les réparations, ils déclarent avoir économisé en moyenne 69%.

Grâce à Internet, il devient par ailleurs de plus en plus facile de se procurer des pièces de rechange bon marché, de sorte que la réparation devient économiquement raisonnable. C’est ainsi que l’atelier de réparation de La Bonne Combine a pu acheter pour $ 70 au Canada (livraison en 3 jours!) un écran pour un laptop que l’importateur suisse vendait CHF 700.-!!

Et cela ne s’arrête pas là! Le succès grandissant des sites de petites annonces gratuites fait qu’il est possible d’acheter des pièces de rechange d’occasion ou une machine en panne sur laquelle récupérer une pièce. Ce petit business commencerait même à devenir lucratif, si l’on en croit un article récent consacré par 24 Heures à un jeune homme qui vit de la revente de pièces récupérées dans des appareils ramassés sur la rue parmi les déchets. Il déclare même que, l’un dans l’autre, la vente de ces pièces lui rapporte en moyenne CHF 30.- par machine et qu’il en récupère 10 par jour. Je vous laisse calculer son revenu mensuel…

Comme je le déclarais, le 5 mai dernier, sur le plateau de La Télé, la récréation est terminée pour les marques qui profitent de la docilité des consommateurs face à l’obsolescence programmée de leurs produits.

http://www.latele.ch/play?i=34505

Les consommateurs ont aujourd’hui mille possibilités pour déjouer la stratégie du prêt-à-jeter: comparer les prix mais aussi la qualité des produits, trouver des pièces de rechange et des guides de réparation, dénoncer des abus, etc.

Je suis persuadé que le marché est aujourd’hui mûr pour faire un bon accueil à une marque d’ordinateurs durables et réparables sur 10 ans ou plus. Mais ça, c’est une autre histoire que je raconterai très bientôt…

6 réflexions au sujet de « Halte au recyclage! Provocation ou annonciation? »

  1. Les pièces de rechange que l’on achète ne sont pas forcement légales… et d’ailleurs on fait tout pour interdire l’importation de copie! Je pense qu’il y a une idée de fond à changer ici… déjà au niveau Suisse.

    Que penser quand Apple par exemple met un composant sur leurs câbles afin d’interdire la copie? Ceci sachant que les câbles se cassent très facilement chez le constructeur à la pomme! Ce qui me force à prendre l’original à 30$ au lieu de la copie à 2$.
    http://appleinsider.com/articles/12/09/21/authentication_chips_discovered_in_teardown_of_apples_new_lightning_connector

  2. Merci d’avoir signalé ce énième scandale! Je ne connaissais pas. Cependant, autoriser la copie n’est pas dans l’air du temps et pose bon nombre de questions non triviales…

    Comme les Verts suisses l’ont proposé la semaine dernière, le législateur devrait surtout poser des exigences en terme de standard et de compatibilité (ce qui, au fond, revient au même). Ainsi, par exemple, si la Grande-Bretagne n’était pas parvenue, au milieu du XIXe siècle, à imposer ses normes sur les sections de tuyaux (en pouces et quarts de pouce), nous serions condamnés à faire appel (sans jeu de mot) au fournisseur de notre installation de chauffage pour toute réparation ou amélioration!…

  3. Ingénieur, client occasionnel de la Bonne Combine, je répare certaines choses, mais pas toutes, parce que ça ne vaut souvent pas le coup. Ca ne vaut pas le coup:

    – si le diagnostic et la réparation prennent trop de temps par rapport au prix de l’objet. Un bidule à 100 balles ne vaut même pas le coup de l’ouvrir et de le refermer, à moins que ce soit par hobby ou goût du défi.

    – si l’appareil atteint sa durée de vie moyenne, qui est un multiple de la durée de garantie comme l’explique très bien http://eric.cabrol.free.fr/dotclear/index.php/2013/05/02/1296-obsolescence-programmee . Dans ce cas, l’appareil est bien conçu,et beaucoup de ses composants ont la même durée de vie donc vont tomber en panne successivement

    – si l’appareil est obsolète pour d’autres raisons. Je reviens sur l’ordinateur plus bas, mais si mon congélateur aux CFC mal isolé d’il y a 20 ans tombe en rade, je pense que vous serez d’accords pour que je le change plutôt que de le réparer…

    Finalement, les seuls appareils qu’il faut la peine de réparer sont les chers toujours efficaces mais dont un défaut de conception fait systématiquement céder un composant mal dimensionné, et c’est bien ce crénau qui fait vivre la Bonne Combine, fixit et d’autres.

    Les ordinateurs durent facilement 10 ans, je peux vous en montrer plusieurs sur mon lieu de travail et chez des clients qui utilisent 24h/24 7j/7 des machines des machines pilotées par des ordinateurs que nous leur avons fourni il y a 20 ans. Mais quand nous leur demandons 500 francs ou plus pour remplacer un lecteur de disquettes 3 pouces 1/2 et qu’ils râlent, nous devons leur expliquer que nous avons du acheter ces appareils pour quasi ce prix il y a 20 ans et les stocker pendant tout ce temps pour pouvoir assurer une maintenance.

    Il faut juste réaliser que le premier ordinateur qui a atteint la puissance d’un Gigaflops était le super-ordinateur Cray 2 de 1985 que l’EPFL avait acheté des millions quand j’étais étudiant. Maintenant il sert de banc dans un couloir. En 1999 la même puissance était disponible dans un PC à Pentium III, et aujourd’hui elle est (presque) dans un smartphone dernière génération. Je ne vois AUCUN composant qui ait survécu à la vitesse de cette évolution, qui n’est pas terminée.

    Passionné d’informatique et geek, je n’ai AUCUNE idée de ce à quoi ressembleront les ordinateurs dans 10 ans car ça fait 30 ans que tous les pronostics que l’on a pu faire à 10 ans se sont révélés faux. En fait je ne suis même pas sur qu’il y aura encore des choses ressemblant à nos ordinateurs dans 10 ans.

    Acheter un ordinateur ayant une durée de vie de 10 ans, c’est répéter la même erreur que mon père qui a acheté une caméra super-8 Bolex toujours en parfait état. En pire, parce que lui n’avait pas d’alternative s’il voulait filmer quelque chose.

    Bref, pour conclure, je ne pense pas que l’obsolescence soit programmée, et j’explique pourquoi ici : http://www.drgoulu.com/2013/05/01/lobsolescence-est-elle-programmee-2/

  4. Cher Monsieur,

    Je vous remercie vivement pour cet intéressant commentaire et les arguments développés sur les pages mises en lien. Je les ai lus avec un grand intérêt, et je constate que je suis globalement d’accord avec tout ce que vous écrivez!
    Cependant, contrairement à vous, je ne fais pas une fixation sur la question de savoir si l’obsolescence est programmée ou non et si cela peut être factuellement démontré.

    J’ai fondé La Bonne Combine, il y a 32 ans, persuadé que les consommateurs n’accepteraient plus de se faire renfiler des produits “prêts à jeter”. Mais la réalité a dépassé mes craintes les plus noires! Les appareils sont remplacés de plus en plus rapidement et la proportion de ceux que l’on peut éventuellement réparer se réduit comme peau de chagrin.

    A côté des fabricants, les consommateurs et les commerçants portent aussi une grande responsabilité dans ce phénomène inquiétant. Par exemple, à intervalles réguliers, la Fédération romande des consommateurs (FRC) fournit des conseils sur la part du prix d’un appareil neuf au-delà de laquelle il n’est pas raisonnable de faire réparer l’ancien. Cependant, la question doit être examinée de cas en cas…

    Je reviens sur l’exemple de l’aspirateur Electrolux Z326 de votre maman (j’en ai réparé personnellement des dizaines!). Avec son moteur de 850 W, il présentait une efficacité supérieure à celle des camelotes vendues à moins de CHF 100.- et affichant fièrement une puissance (consommée et bien réelle) de 1200 W. Pas étonnant. Le premier était équipé de roulements à billes étanches, aisément remplaçables, de 2 turbines et de 3 contre-turbines, et le remplacement du cordon électrique au coeur de l’enrouleur pouvait se faire très facilement (4 vis). Le second ne comportait souvent qu’une turbine et deux contre-turbines, embouties sur l’arbre du moteur, en conséquence de quoi le roulement à billes le plus sollicité (entre le moteur et les turbines) ne pouvait être remplacé. Et je ne parle même pas de la mauvaise conception de l’enrouleur (source de panne No 1)! Il est donc économiquement et écologiquement rationnel d’investir CHF 80.- pour remplacer le câble d’alimentation d’un vieil Electrolux Z326 et opérer un nettoyage complet de l’appareil, même si cela représente l’équivalent du prix d’un appareil camelote neuf!

    L’exemple de la camera Bolex est tout autre. Depuis qu’il a été inventé, l’aspirateur n’a pour ainsi dire pas évolué et se résume toujours à un moteur électrique entraînant des turbines, une série de filtres pour retenir les poussières et un cordon d’alimentation électrique. L’apparition de la vidéo, puis du numérique, ont révolutionné la captation d’images. Et nous avons tous fait dans ce domaine des “investissements non-amortissables” et conservons, sans trop savoir pourquoi, quantité de négatifs, de cassettes vidéo et autres supports obsolètes…

    J’en viens maintenant à l’ordinateur durable. Comme vous, je ne sais pas ce que sera l’informatique dans 10 ans. Mais si j’achète un ordinateur (pas cher) et que je consacre du temps à apprendre à utiliser les logiciels libres que j’aurai installés dessus et à créer des fichiers (textes, images, plans, données comptables, etc.), j’escompte bien pouvoir y accéder dans 10 ans, car cet investissement représente (principalement en temps) n fois le prix d’acquisition de la machine. Et, heureusement, je ne serai pas tributaire du devenir de l’industrie du film et du développement argentique… L’accès à mes précieuses données ne sera (éventuellement) limité que par la durée de vie de mon ordinateur et la possibilité de mettre à niveau mes logiciels de sorte à pouvoir lire mes anciennes données.

    Or, la durée de vie de mon ordinateur – comme de tout autre bien d’équipement – se définit comme le temps qui sépare l’achat du moment où l’on renonce à le faire réparer ou à le mettre à niveau. De mon point de vue, le recours à des guides de réparation, l’accès à des pièces de rechange bon marché (voire d’occasion) et l’utilisation prioritaire de logiciels libres respectant les formats standards devraient fournir une garantie raisonnable quant à la possibilité d’exploiter mes données, quelle que soit l’évolution technologique dans le secteur informatique durant ce laps de temps.

    Je note d’ailleurs que, malgré l’évolution foudroyante qu’a connu le domaine IT au cours des 20 dernières années, les commandes shell que l’on peut donner à un ordinateur GNU/Linux de dernière génération sont restées les mêmes. Ce qui me permet de conclure que:
    – progrès technologique et durabilité ne s’excluent pas mutuellement;
    – les consommateurs peuvent (et doivent!) refuser de se soumettre au diktat de l’obsolescence, qu’elle soit ou non programmée!

    Nos échanges ci-dessus montrent, me semble-t-il, que l’Internet devrait permettre de lutter contre les dérives de la société de consommation plus efficacement que cela n’a jamais été le cas…

  5. Oui, je constate aussi qu’il n’y a pas de divergence de vue importante entre gens qui connaissent un peu la technique. Mais je constate que l’ “obsolescence programmée” au sens strict de volonté délibérée de l’industrie pour augmenter ses ventes est un véritable credo chez certains, qui les empêche de voir une réalité bien plus complexe.

    Par exemple que ma maman avait payé son Electrolux Z325 Frs 648.- en 1976. En comptant une inflation de 2%, c’était l’équivalent de Frs 1350.- actuels. Je viens de faire une recherche, même des aspirateurs professionnels garantis 5 ans d’une marque qui les fait en forme de tonneaux ne coûtent pas aussi cher. Mais je suis prêt à parier qu’ils durent aussi longtemps (en heures ) que le Z325 , et qu’on peut trouver sans problème des pièces de rechange, parce qu’on a payé pour !

    Reste à démontrer au consommateur qu’il y gagne, parce que là où je ne suis pas convaincu, c’est que l’aspi à 1300 balles dure (au moins) 13 fois plus longtemps que celui à 100 balles.

    Et c’est là qu’il me vient une idée commerciale ou politique pour vous : intégrer des horomètres aux produits pour qu’on puisse savoir combien de temps ils ont fonctionné avant de tomber en rade. Et si le client remonte l’info sur un site web il obtient un rabais sur la réparation ou le prochain produit. Et comme ça on aura de vraies stats de durée de vie sur plein de produits, dans 10 ans…

  6. Cher Monsieur,

    Votre idée d’horomètre m’est sympathique! Cependant, mon expérience du domaine me pousse à penser que ce qui tue un appareil n’est pas tant la programmation de la durée de vie (en heures) de chaque composant, mais plutôt le mauvais usage et/ou… la malchance.

    Pour reprendre l’exemple de l’aspirateur, je dirais que 50% des pannes proviennent d’une rupture du câble d’alimentation électrique au coeur de l’enrouleur ou entre le cordon et la fiche. Ainsi, le fait de rappeler le cordon jusqu’à ce que la fiche stoppe brutalement son enroulement, au lieu de le retenir légèrement à la main, occasionne une explosion de pannes à ce niveau (difficile à programmer pour un ingénieur). Une autre panne fréquente sur ce genre d’appareils résulte de l’aspiration de poussières (ultra-fines) de plâtre. Soit le sac en tissu se colmate, réduisant drastiquement le flux d’air qui refroidit le moteur, lequel finit par brûler l’isolation des spires du bobinage (jusqu’au court-circuit), soit les poussières encore plus fines s’agglomèrent à l’intérieur des pâles de la turbine qui s’alourdissent et volent en éclat.

    Ainsi, trois facteurs seront vraiment déterminants pour la durée de vie de l’appareil:
    – possibilité de remplacer les pièces sensibles;
    – disponibilité des pièces en question;
    – prix des pièces de rechange.

    Chacune de ces trois qualités est une source de coûts pour le fabricant et/ou le distributeur. Et il ne fait aucun doute que, depuis 30 ans, ces conditions se sont largement dégradées. Même pour des appareils professionnels!

    Alors que – j’en suis certain – La Bonne Combine répare encore de temps à autre un Electrolux Z325, au besoin avec des pièces d’occasion!

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