Changement de cap dans la protection du patrimoine

 

(source: http://www.solaire.vd.ch/)

Ces dernières années, on a vu les tensions augmenter entre production d’énergie renouvelable et protection du patrimoine. Deux exigences qui sont partie intégrante du développement durable; l’une concerne la sortie des énergies fossiles et nucléaire (pilier écologique), l’autre appartenant à la dimension culturelle (pilier social). Cette opposition n’a aucun sens. En effet, quelle serait la valeur d’un patrimoine bâti que personne ne voudrait plus ni habiter ni entretenir? Raison pour laquelle, avant de quitter le Conseil d’Etat, j’ai voulu édicter des instructions quant à la manière d’effectuer la pesée des intérêts entre défis énergétiques et protection du patrimoine (voir les instructions du Chef du DINF pour le traitement des demandes d’installations solaires). J’ai donc convoqué une conférence de presse pour expliquer, en substance, que la section cantonale des Monuments & Sites ne s’opposera plus à l’installation de capteurs solaires dans le tissu bâti historique, mais redoublera ses efforts pour promouvoir les bonnes pratiques et partager un patrimoine vivant. Voir le communiqué de presse du 21.06.12.

En quelques semaines, la section Monuments & Sites a réalisé un portail didactique permettant à tout propriétaire soucieux d’un développement durable, de concevoir et intégrer sur son bâtiment une installation de capteurs solaires (voir http://www.solaire.vd.ch/). De nombreux exemples illustrés montrent comment limiter l’impact d’une telle installation dans un site bâti protégé. Ces exemples et bonnes pratiques sont aussi utiles lorsque l’on intervient sur des bâtiments ne bénéficiant d’aucune protection ou sur de nouveaux immeubles (notre patrimoine de demain!).

Le portail contient aussi tous les liens utiles à un propriétaire pour développer un projet d’énergie solaire: subventions fédérales, cantonales et communales, avantages fiscaux, procédures administratives selon que le projet se situe en zone de protection ou encore hors zone à bâtir. Il s’agit, en définitive, d’offrir à tout propriétaire un système d’aide à la décision afin de concevoir, dimensionner et réaliser un projet de capteurs solaires écologique, économique et favorable au patrimoine.

Ceci revient à dire que la section Monuments & Sites ne délivrera plus de préavis négatifs pour de tels projets. Elle se bornera à inciter les propriétaires à prendre en compte la dimension patrimoniale en leur fournissant des exemples, des conseils et quelques règles méthodologiques.

Parmi les principales recommandations figure la distinction fondamentale qu’il y a lieu de faire entre capteurs thermiques et photovoltaïques.

Les capteurs thermiques pour la production d’eau chaude sanitaire doivent impérativement se situer à proximité immédiate du lieu d’utilisation. Ces installations sont modestes (environ 1 m2 par personne pour couvrir >30% des besoins), économiquement efficaces (CHF 0.11/kWh, dans mon cas), présentent une efficacité énergétique remarquable de presque 80% (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Capteur_solaire_thermique) et leur rendement est peu sensible à l’orientation ou à l’inclinaison du capteur par rapport à la course du soleil.

A l’inverse, les capteurs photovoltaïques qui injectent leur production dans le réseau électrique peuvent être installés n’importe où sur ce réseau. Ils présentent un rendement énergétique moindre (15% pour les meilleurs modèles). Leur orientation et leur inclinaison doivent être optimisés et, sauf hasard heureux, leur intégration dans une toiture conduit à une perte de rendement et renchérit donc le coût de production (>CHF 1.00/kWh). Parce que je suis convaincu que l’énergie photovoltaïque constitue un pan important du programme de sortie du nucléaire, l’installation de tels capteurs devrait se faire en premier lieu sur des toitures plates et donc hors des périmètres de protection du patrimoine. Je comprends l’importance d’afficher sur son toit son engagement pour les énergies renouvelables. Cependant, du point de vue du développement durable, des alternatives plus efficaces existent: acheter du courant vert d’origine photovoltaïque permettant à la compagnie électrique d’investir intelligemment, investir directement dans une société (voir, par exemple, http://www.edisun.ch) active dans la production ou l’exploitation de telles installations, ou, plus simplement, regrouper les forces à l’échelle d’un village pour cofinancer un projet de plusieurs centaines de mètres carrés sur le toit d’un hangar agricole, d’une usine ou encore d’un bâtiment communal.

Mais le cas des capteurs solaires n’est, somme toute, que la partie émergée de l’iceberg. Si, dans les années 60 et 70, il était juste que les pouvoirs publics légifèrent pour éviter la destruction de notre patrimoine, l’activité de la section des Monuments & Sites tend à devenir celle d’une véritable “police des monuments historiques” et les conflits avec les propriétaires et les autorités communales se multiplient. De plus en plus souvent, les municipalités passent outre les préavis de la section, laquelle pourtant ne fait qu’appliquer le droit en vigueur. Ainsi, ce sont les tribunaux qui finissent par trancher les questions qui concernent le patrimoine et la culture. Une aberration!

A mon sens, la valeur du patrimoine résulte plus de la conscience que les gens ont de cette richesse que des avis d’experts (historiens, spécialistes du patrimoine). Et le meilleur moyen de protéger le patrimoine est que ceux qui en sont récipiendaires aient conscience de cette valeur!

C’est pourquoi j’ai voulu qu’à l’avenir les spécialistes de la protection du patrimoine quittent leur tour d’ivoire, partagent les connaissances historiques qui sont les leurs et contribuent à forger une identité culturelle partagée par le plus grand nombre. De là est né le projet de wiki du patrimoine, Sur le modèle du wiki des jardins historiques, dès la mi-juillet 2012, la section Monuments & Sites du SIPAL partagera l’ensemble de ses bases de connaissance (fiches du rencensement, géodonnées, archives historiques, articles de presse, ainsi que les images Google street view et birds eye). A partir de là, les propriétaires, les passionnés, les retraités, les autorités communales et les personnes intéressées pourront enrichir – comme sur Wikipedia – cette immense base de connaissances.

Pour exister, le patrimoine doit être vivant, c’est-à-dire habité par des gens conscients du caractère unique du bien qu’ils occupent, soucieux d’inscrire leurs interventions dans un continuum historique. Tout comme l’énergie et le développement durable de la société, la richesse du patrimoine est un défi commun! Ce faisant, j’espère avoir, à ma modeste mesure, contribué à la promotion des richesses collectives au profit des générations futures.

3 réflexions au sujet de « Changement de cap dans la protection du patrimoine »

  1. Interrogé par http://www.suisseenergie.ch pour son édition spéciale tout-ménage octobre 2012, l’expert pour la rénovation énergétique des bâtiment, Michael Bächlin, le dit tout net: “le photovoltaïque n’a de sens que sur des grandes surfaces de toiture, comme dans les fermes”! Les propriétaires de maisons individuelles qui le consultent souhaitent généralement réaliser une telle installation sur leur toit, ce dont Michael Bächlin les dissuade au profit d’un assainissement énergétique de l’enveloppe du bâtiment. Voir http://www.suisseenergie.ch/edition-speciale (le site semble être en panne aujourd’hui).

  2. merci pour ces commentaires très précieux que j’imprimerai et vais joindre à toutes mes notices de vente dès qu’un propriétaire m’achètera une maison à transformer ou à rénover commentaires très complets, liens etc. Merci M. Marthaler

  3. Je dois cependant vous rendre attentive que le domaine de la conservation du patrimoine est passé sous la responsabilité politique de Pascal Broulis, Conseiller d’Etat et Chef du Département des finances. Et j’ignore si ce dernier partage entièrement mon point de vue.
    Mais généralement les projets intelligents et de bon sens passent sans difficulté…

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