Taxer les GAFA: fausse bonne idée?

(Source: https://www.evolution-transformation.fr/comment-lutter-gafa-gdpr/)

On apprenait récemment de la bouche du ministre allemand des Finances Olaf Scholz qu’il était désormais « hautement probable » qu’un accord sur la fiscalité soit conclu avant la date limite de l’été 2021 au niveau de l’OCDE. Cette déclaration a été faite juste un jour après s’être entretenu par téléphone avec la nouvelle secrétaire au Trésor des États-Unis, Janet Yellen (lire l’article de developpez.com du 31.01.2021). Certes, une taxation minimale du chiffre d’affaires des GAFA pourrait rapporter des milliards de dollars aux pays dans lesquels les géants du Net opèrent. Mais au fond qui va payer?…

Certains imagine qu’une taxation des GAFA (on parle d’environ 3% du chiffre d’affaires) entraînerait la fin de la gratuité du web et qu’il faudrait que les internautes paient pour partager des photos, accroissant encore un peu le fossé numérique entre pays riches et pays pauvres, tout comme entre classes sociales de tous les pays.

Pourtant, on le répète depuis des années, avec les GAFA, le produit vendu c’est vous! La publicité ciblée, la vente des données de votre profil, l’historique de vos achats, voilà qui permet aux entreprises multinationales du numérique (EMN) de gagner des milliards. Dans un article du 20.02.2020 publié sur statista.com, on apprend qu’en 2019 , la vente de publicité en ligne représentait 98,5 % du chiffre d’affaires de Facebook et 83,3 % de celui d’Alphabet (Google). Il est dès lors hautement improbable que les GAFA renoncent à la gratuité d’accès à leurs services et aux revenus considérables que leur rapportent la publicité adressée à des gens qui – massivement! – renonceraient à utiliser leurs plateformes.

Et il est encore plus improbable que les EMN réduisent leur marge bénéficiaire du montant des nouvelles taxes dont ils devraient s’acquitter. Par conséquent, ce sont les annonceurs et les entreprises actives dans le commerce en ligne qui paieront ces taxes. L’efficacité redoutable de ces publicités ciblées est telle que ces entreprises ne vont certainement pas se retourner vers les médias traditionnels et absorberont une hausse, même de 3%, sur les services des GAFA.

En revanche, comme chacun le sait (même si on tend à l’oublier, parfois), ces coûts supplémentaires se répercuteront sur les prix. Au final, comme pour la TVA, ce sont les consommateurs qui paieront les nouvelles taxes sur les GAFA. Et cela, indifféremment du fait qu’ils utilisent ou non leurs plateformes.

Instinctivement, nous sommes a priori tous favorables à taxer les bénéfices astronomiques des GAFA et stopper l’évasion fiscale légale de ces géants. Mais j’en viens à me demander si l’on ne devrait pas plutôt mettre fin à ces monopoles de fait qui permettent des rentes de situation incroyables, au nom du libéralisme économique. Par exemple, on pourrait imaginer que l’Europe soutienne l’émergence d’un système d’exploitation libre pour offrir une alternative à Android et iOS sur les smartphones, tout en promouvant GNU/Linux et les logiciels libres sur les ordinateurs. Pour être cohérents, ces États devraient rendre les services publics (par ex., déclaration d’impôts) et parapublics (par ex., CFF) accessibles aux citoyens souhaitant s’affranchir des GAFA. Ce faisant, ils réduiraient leur dépendance à l’égard des EMN, toutes américaines, et éviteraient de possibles mesures de rétorsion commerciales des États-Unis, comme la hausse des taxes douanières sur les voitures allemandes décidée par Donald Trump en réponse aux velléités européennes de taxer unilatéralement les GAFA en 2020…

Finalement, l’Europe pourrait parfaitement faire les deux! Et même affecter une partie des taxes perçues sur les GAFA au développement de solutions alternatives et libres… De mon point de vue, se limiter à une (très modeste) taxation du chiffre d’affaires des GAFA – finalement payée par les consommateurs – est totalement insuffisant. Pire, cela ressemble fortement au pacte faustien!

9 réflexions au sujet de « Taxer les GAFA: fausse bonne idée? »

  1. François, merci pour ce article très intéressant ! Merci aussi de mettre en évidence que le produit vendu c’est nous. Pas seulement les 3% sont des “peanuts” pour les GAFA, mais effectivement à la fin ces 3% sont répercutés sur les clients finaux, soit nous à nouveau. Le système tel qu’il existe aujourd’hui est vertueux pour ces colosses qui ont grandi de façon extrêmement rapide grâce à l’effet amplificateur d’internet sans que ni les etats et ni les régulateurs n’aient eux le temps de réfléchir aux limites à poser avant que la taille devienne un problème. Limites difficiles à poser tant le sujet dépasse les frontières, un peu comme les problématiques environnementales (changement climatique, perte de la biodiversité,…). Si les états le souhaite, alors cela pourrait devenir du ressort du droit international ! L’idée de favoriser les logiciels libres et de permettre aux citoyens qui le souhaitent de s’affranchir des GAFA est une excellente idée. Espérons que celle-ci et d’autres qui nous permettront de tirer la corde vers un monde plus durable et humain, avec une économie à taille humaine, fleurissent. Il s’agit là de choix de société, nous devons avoir le courage d’aborder ces questions aussi sur l’angle de l’éthique si nous ne souhaitons pas vendre nos âmes au diable. Merci François pour ce très bon article !

  2. Il y a quelques mois on parlait encore de de GAFAM. Mais pour a peux prêt tout le monde le M a disparu et pourtant Microsoft est un des plus grands contributeurs du Kernel utile à plusieurs distributions de Linux et ainsi que divers projet GNU/GPL avec GitHub. Ce qui me donne cette pensé que rien ne peut empêcher les GAFA de contribué à une alternative d’Android ou iOS et imposer leurs technologies. En finalité on se retrouvera avec divers OS pour téléphone portable pratiquement identique…

  3. On peut aussi, distribuer des amendes pour récolter une partie des revenus, comme le fait l’Italie. Mais ce n’est effectivement pas le point le plus important. Quand des services deviennent d’utilisation publique, ils deviennent d’utilité publique. Or il devient dommage de confier ses données, mais surtout, ses moyens de communications et d’accès aux informations, à des entreprises de gouvernances lucratives, dont le métier est de vendre (cher) les moyens pour manipuler ce pulic! Nous rejoindre chez MyData!

  4. @Moret Thomas
    En effet, j’ai l’habitude de parler des GAFAM, en y incluant donc Microsoft. Mais l’article de developpez.com ne parle que des GAFA. Peut-être que l’OCDE considère que Microsoft n’est pas une EMN (entreprise multinationale du numérique) au même titre que Google, par exemple.
    Pourtant, j’ai installé l’autre jour Windows 10 à des fins de tests et j’ai été frappé de voir qu’il faut impérative créer un compte Microsoft, y renseigner plein d’éléments, et prendre bien garde à refuser toute une série de propositions suggérées pour nous faciliter la vie… Je subodore donc que Microsoft fait aussi le commerce des données de ses clients, au moins pour elle-même…
    Cordialement.

  5. Très bonne analyse ! Je suis bien d’accord avec Joana Ricou aussi.
    j’ai bien réfléchi au système “commercial” en général, et en dernière analyse, je suis persuadé que c’est le consommateur final , nous tous, qui payons.
    Même les très riches qui décident ce qu’ils veulent financer, directement ou via des fondations, que ce soit une campagne électorale, un petit festival de musique, un club sportif, le développement d’un vaccin ou la réfection de vieux château, c’est toujours nous qui payons. Un pacte faustien dans lequel on vendrait notre âme, pas pour notre bénéfice, mais pour celui du diable. Les dernières suggestions à l’Europe sont d’autant plus excellentes.

  6. Je suis un peu étonné par votre réponse sur Windows 10 et je pense que vous n’avez pas téléchargé la toute dernière version disponible gratuitement sur leur site. Pour donner suite à des années de dénigrement par les utilisateurs et surtout de la communauté du logiciel libre. Windows a su évoluer et les demandes ont été enfin suivi par des faits, par example pas d’obligation d’avoir un compte Microsoft pour installation et l’utilisation, les questions au démarrage sont claires et on peut refuser la localisation, les identifiens de publicité, etc… Je vous comprends entant que vendeur de solution libre, il est bien difficile d’avoir un avis objectif d’un produit concurrent.

    • Bonsoir,
      why! ne “vend” pas des solutions libres, mais juste des ordinateurs réparables débarrassés de l’obsolescence programmée par Microsoft et Apple. Les logiciels gratuits préinstallés ne sont pas facturés au client final, lequel conserve d’ailleurs la possibilité d’y installer un OS Windows (pour Mac OS X, il est interdit de l’installer sur une machine qui n’est pas un Mac, même sur une machine virtuelle!). Avec GNU/Linux, c’est l’utilisateur qui décide librement quand passer à une nouvelle version et la possibilité lui reste acquise de revenir à la version précédente s’il n’est pas satisfait.
      Cordialement.

  7. Merci pour cet article.
    Effectivement, taxer les GAFAM se retournera contre les consommateurs – y compris ceux qui ne les utilisent pas – mais il y a d’autres effets pervers.
    Les États pourraient voir ces entreprises comme une manne financière providentielle. Cela alimenterait un rapport malsain : je ne te régule pas trop et je ferme les yeux sur ton monopole, et en échange tu me files des milliards qui me seront bien utiles pour mes budgets. Et on se retrouverait dans la même situation insoluble que pour le tabac ou les carburants.

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