L’OREA du gaspillage

(Source: projet de révision de l’OREA du 03.04.2020)

Cela pourrait être une petite révolution en direction de plus de durabilité… Le projet de révision de l’Ordonnance fédérale sur la restitution, la reprise et l’élimination des appareils électriques et électroniques (OREA, RS 814.620) entrouvre la porte à une réutilisation (réparation, remise sur le marché, récupération de pièces pour en réparer d’autres). L’intention est louable, mais on voit mal comment elle pourrait se concrétiser, face au lobbying du prêt-à-jeter et aux communes qui ne souhaitent pas se compliquer la tâche. La consultation court jusqu’au 20.08.2020 et je m’engage à faire tout mon possible pour que ce texte soit clairement renforcé.Avant l’entrée en vigueur de l’OREA, en janvier 1998, La Bonne Combine pouvait s’approvisionner en machines réparables et en pièces détachées, sur les trottoirs lors des déchets encombrants, puis dans certaines déchetteries et chez ses concurrents (pour les décharger des frais d’élimination). A l’époque, 80% des gros appareils électroménagers vendus étaient des occasions, révisées et garanties 6-12 mois. Les 20% restants étaient des appareils de marque et de qualité éprouvée. Cette part est aujourd’hui tombée à 20% des ventes de gros électroménager au profit d’appareils neufs que l’on espère aussi réparables que les anciens. Cela a pour conséquence une dégradation de la marge et pose la question du financement de techniciens compétents pour livrer et déballer des appareils.

La situation est tout aussi grave sur le front des réparations. En effet, avec l’électronisation – voire l’informatisation – des appareils, les réparations à prix abordables devraient se faire à l’aide de pièces de récupération bon marché démontées sur d’autres appareils.

Il n’est malheureusement plus possible de se procurer des pièces sur les épaves destinées à l’élimination. En effet, les organismes qui gèrent la contribution anticipée de recyclage (CAR; 70-80 millions de francs par an), à savoir SWICO (informatique, bureautique, électronique de loisir), SENS (électroménager) et SLRS (sources lumineuses) n’ont aucun intérêt à ce que des appareils retournent sur le marché ou soient réparés à l’aide de pièce de récupération. Cette interdiction se reporte contractuellement sur les déchetteries communales, qui reçoivent près de 2/3 des appareils usagés, sous peine de devoir éliminer ces appareils à leurs frais et de ne plus toucher l’indemnisation (env. CHF 30.- par palette).

Il est donc absolument vital pour La Bonne Combine et tous les ateliers de réparation de faire sauter ce verrou dans le cadre de la révision de l’OREA.

Dans le rapport explicatif accompagnant la consultation, on peut lire (p. 16):

2.3.1 Promotion de la réutilisation

Dans une perspective de promotion de l’économie circulaire, l’OREA non seulement vise à garantir une élimination des appareils électriques et électroniques ainsi que de leurs composants respectueuse de l’environnement, mais intègre désormais aussi explicitement le principe de leur réutilisation. Les appareils en état de marche ou réparables doivent, autant que possible, être remis sur le marché de manière à prolonger leur cycle de vie. La réutilisation d’appareils usagés a généralement moins d’effets négatifs sur l’environnement que la fabrication d’appareils neufs. De plus, l’allongement de la durée de vie des appareils limite aussi la quantité de déchets. Il en résulte aussi une diminution des besoins en matières premières, ce qui contribue également à la réalisation des objectifs climatiques.

Et, plus loin (p.19):

4.1 Art. 1 But
L’al. 1 définit le but de l’OREA. Celle-ci vise à garantir que les appareils électriques et électroniques (ci-après les « appareils ») et, dorénavant, leurs composants (cf. définition à l’art. 3, let. b) soient réutilisés ou éliminés de manière respectueuse de l’environnement et conforme à l’état de la technique. Les appareils qui sont en état de marche ou réparables devraient être remis sur le marché dans la mesure du possible, afin de promouvoir une économie circulaire.

L’OFEFP veut même obliger les acteurs du marché à promouvoir la réutilisation auprès du public (p. 30):

Art. 15 Affectation du produit de la taxe

Let. c : 5 % au plus du produit annuel de la taxe peuvent être alloués aux activités d’information et à la réalisation d’études, notamment pour promouvoir la collecte, la réutilisation et la valorisation d’appareils. Ces activités d’information peuvent englober des campagnes de presse qui concernent le tri sélectif et la valorisation des appareils ou sont destinées à améliorer le taux de restitution des consommateurs finaux. Les études de recherche et développement portant par exemple sur une meilleure récupération des ressources doivent être approuvées par l’OFEV. On s’assure ainsi qu’elles serviront autant que possible les intérêts de toutes les parties prenantes, et pas uniquement des intérêts particuliers.

Cependant, si les organismes chargés de l’utilisation de la taxe n’y consacre aucun moyen (5% étant un maximum) ou ne font rien en faveur de la réutilisation, la nouvelle ordonnance serait respectée.

Finalement, au chapitre des conclusions et des conséquences, on lit (p.46):

6.6 Conséquences pour l’environnement

Dans une optique de promotion de l’économie circulaire, l’OREA vise à garantir que les appareils électriques et électroniques ainsi que leurs composants soient éliminés de manière respectueuse de l’environnement. Elle doit dorénavant mettre l’accent sur la valorisation matière tout en rendant la réutilisation explicitement possible. La réutilisation des appareils usagés et de différents composants ou la valorisation des matières premières a généralement moins d’impact sur l’environnement que la fabrication et l’utilisation d’appareils neufs. De plus, l’allongement de leur cycle de vie réduit également les flux de déchets.

La formulation potestative en ce qui concerne la “réutilisation” et la priorité mise sur la “valorisation matière” en disent long sur les intentions de l’OFEV et des groupes de pression auxquels il est immanquablement soumis…

Selon le magazine Forum Déchets No 123 de juin 2020 consacré à la révision de l’OREA, les communes semblent déjà engagées dans le combat contre la réutilisation (p. 5 ):

Selon un préavis de l’association suisse Infrastructure communale (ASIC) en cours de consultation auprès de ses membres, les communes sont défavorables à la possibilité prévue à l’article 8 que les exploitants de déchèterie puissent décider d’une éventuelle réutilisation des équipements. Bien que louant l’intention, l’ASIC considère son application comme irréaliste. Bien sûr, pour limiter les risques d’élimination inappropriée, d’exportation illégale ou d’accidents liés à des défauts électriques, on devrait encadrer la réutilisation. Mais les déchèteries, on l’a vu, sont le lieu préféré des consommateurs pour se défaire de leur vieux matériel, souvent réparable, voire encore fonctionnel, également source de ces pièces de rechange qui manquent cruellement aux acteurs de la réparation.

En l’état actuel du texte de la nouvelle OREA, rien ne contraint les communes ou les organisations en charge de l’élimination des appareils électriques et électroniques à favoriser la réutilisation, pourtant louée à maintes reprises dans le rapport explicatif de l’OFEV.

Voici donc quelques propositions permettant de mieux concrétiser dans l’OREA le principe de la réutilisation:

  • Art. 1 But
    La présente ordonnance a pour but de garantir que les appareils électriques et électroniques, ainsi que leurs composants, soient prioritairement réutilisés ou, à défaut, éliminés de manière respectueuse de l’environnement et conformément à l’état de la technique.
  • Art. 8 Obligation d’éliminer
    Les personnes soumises à l’obligation de reprendre, les exploitants de postes de collecte publics et les entreprises d’élimination ne doivent pas empêcher la réutilisation d’appareils ou de composants et sont tenus d’éliminer les appareils et les composants qu’ils ont repris lorsqu’ils ne les remettent pas sur le marché ou qu’ils ne les remettent pas à d’autres personnes soumises à la même obligation.
  • Art. 9 Exigences en matière d’élimination
    Toute personne qui élimine des appareils ou des composants doit s’assurer
    que leur élimination soit respectueuse de l’environnement et conforme à
    l’état de la technique ; elle doit en particulier veiller à ce que:
    a. (nouveau) les appareils et les composants susceptibles d’être réutilisés puissent l’être dans toute la mesure du possible;

Si ces modifications pouvaient en tout ou partie être intégrées dans l’OREA, il faudra veiller à ce que les cantons et les communes ne s’y opposent pas sans motif impérieux. Trois arguments sont régulièrement avancés pour justifier l’interdiction de réutiliser un appareil ou des composants:

  1. Risque d’exportation de déchets dans les pays en développement ne respectant pas les mêmes règles de protection de l’environnement et des travailleurs.
  2. Menace pour la protection des données personnelles susceptibles d’être récupérées sur un ordinateur, une tablette ou un smartphone.
  3. Dangers auxquels peuvent s’exposer les personnes en raison de défauts électriques ou autres des appareils ou composants réutilisés.

Le premier argument concernant l’exportation illégale est, historiquement, celui utilisé par SWICO et SENS pour interdire la récupération d’appareils parmi les déchets collectés (y compris des produits neufs, encore dans leur emballage cellophane!). Heureusement, les systèmes “volontaires” mis en place en Suisse permettent d’atteindre un taux de collecte de 95%, probablement le plus élevé au monde et nettement supérieur à celui des bouteilles en PET ou des canettes en aluminium. Dans l’interview accordée par la FRC au magazine Forum Déchets on lit: “Nous avons mené en 2017 une grande enquête sur le recyclage des appareils électroménagers et électroniques en installant des traqueurs GPS dans des objets. Ce travail nous a permis de montrer que la filière fonctionne bien, puisque nous n’avons perdu la trace que d’un seul des objets probablement volé en déchèterie. Il y a une pesée des intérêts à effectuer entre [le risque d’exportation] et la réutilisation potentielle de milliers d’appareils chaque année. Mais pour limiter le risque d’exportation, les acteurs de la réutilisation pourraient être mieux encadrés.” On pourrait tout à fait imaginer que, comme les entreprises de recyclage, celles qui s’occupent de remise sur le marché, à l’instar de La Bonne Combine, soient au bénéfice d’une autorisation cantonale et que le risque d’exportation illicite (non conforme à l’OMoD, RS 814.610) s’avère nul.

La menace sur la protection des données est bien réelle dans le domaine informatique. Il apparaît cependant, que le risque de vol de données est bien plus important sur le web que par le fait d’un récupérateur cherchant essentiellement à se procurer un équipement informatique très bon marché. Là aussi, des solutions toutes simples pourraient exister, à commencer par le retrait pur et simple du disque dur ou du SSD d’un ordinateur ou la réinstallation des paramètres d’usine sur un smartphone ou une tablette. En tout état de cause, les récupérateurs “agréés” pourraient parfaitement s’engager sur ce point et, comme les “recycleurs matière”, pourraient mettre en place des procédures d’effacement des données personnelles. Enfin, on pourrait imaginer que la TEA nouvelle voulue par l’OREA puisse servir à informer les consommateurs à supprimer leurs données personnelles sur les appareils dont ils souhaitent se débarrasser.

Reste la question des risques liés à l’utilisation d’équipements pouvant présenter des défauts électriques. On relèvera que c’est pour ce motif que les constructeurs s’évertuent depuis des années à concevoir des appareils indémontables pour protéger la santé de leurs clients, à commencer par Apple et ses fameuses vis pentalobées brevetées pour lesquelles on ne trouve pas de tournevis dans le commerce. Remplacer l’ampoule d’une lampe donne un accès direct aux 230 V du réseau et s’avère bien plus dangereux que l’ouverture d’un ordinateur. Il ne semble en outre pas que ce genre de cas occasionne de nombreux accidents chaque année. Cet argument ne résiste pas un instant  l’analyse et chacun comprend bien qu’il sert exclusivement à empêcher l’auto-réparation.

Comme on le voit, il serait très facile pour les cantons de mettre en place un régime d’agrément pour permettre aux entreprises de l’économie sociale et solidaire de contribuer efficacement au but de l’OREA en faveur de la réutilisation. Pour ma part, je pense qu’une autorisation générale de récupérer des appareils et des pièces présenterait bien plus d’avantages pour la société et l’environnement que la poursuite d’une stratégie d’élimination systématique.

Reste un problème majeur soulevé par le magazine Forum Déchets No 123 (légende p. 5):

La nouvelle OREA prévoit que les entreprises de réparation ou les magasins d’occasion participent financièrement au recyclage des appareils qu’ils ne peuvent pas remettre en service et des pièces détachées défectueuses. Les surcoûts engendrés renchériraient le prix des réparations et celui des appareils d’occasion. Ils limiteraient, aussi dans les ateliers de démontage qui voudraient se diversifier, le potentiel de réutilisation qui ne génère pourtant pas de coût supplémentaire au système de recyclage.

En effet, selon le rapport explicatif de l’OFEV (p. 24):

L’al. 4 établit clairement que l’obligation de reprendre gratuitement les composants d’appareils pour toutes les personnes soumises à l’obligation de reprendre ne s’applique qu’envers les consommateurs finaux. Ceux-ci doivent avoir la possibilité de restituer certains composants gratuitement (p. ex. disques durs remplacés). En revanche, les personnes soumises à l’obligation de reprendre ne sont pas tenues de le faire gratuitement pour les ateliers de réparation qui démontent à titre commercial les appareils hors d’usage, retirent les composants facilement valorisables ou utilisables comme pièces de rechange et se défont des seuls composants sans valeur. Ces ateliers doivent éliminer ou faire éliminer à leurs propres frais et de manière respectueuse de l’environnement les composants qui ne leur sont pas utiles (cf. art. 8, al. 2). Ainsi, les commerçants et les fabricants peuvent refuser de reprendre et d’éliminer gratuitement, ou peuvent exiger une indemnité pour éliminer, les composants sans valeur lorsque ces déchets sont, par exemple, apportés en grandes quantités par des personnes qui démontent ou réparent les appareils hors d’usage.

J’avoue ne pas du tout comprendre la logique ici à l’œuvre. Il se peut que l’idée sous-jacente soit simplement d’éviter les activités parasites de personnes ou d’entreprises se limitant à récupérer les éléments à forte valeur métallique (Au, Cu, Fe…) avant de se débarrasser du reste. Il y a certainement d’autres manières de se prémunir contre ces petits malins sans mettre en péril les activités de réutilisation et de réparation! Cela pourrait signifier qu’un atelier de réparation comme La Bonne Combine ne pourrait plus faire enlever les appareils irréparables et les pièces défectueuses d’appareils qui lui auraient été confiés et sur lesquels la CAR aurait déjà été perçue. Ce serait d’autant moins compréhensible que l’art. 1 rappelle la priorité donnée au réemploi et que cette règle pourrait inciter les ateliers de réparation à refacturer ces frais aux consommateurs déjà de moins en moins enclins à faire réparer! Certes, s’agissant de La Bonne Combine, qui vend aussi des appareils neufs, l’accès aux filières d’élimination gratuites ne semble pas menacé et aucune disposition n’empêche un commerce de faire éliminer plus d’appareils qu’il n’en vend neufs. Mais quid de itopie à Genève ou Revampit à Zurich qui se concentrent sur les appareils d’occasion? Bien sûr, il sera toujours possible de demander aux particuliers motivés par la durabilité de rapporter ces pièces et appareils pour recyclage dans un point de collecte privé ou public, ce qui ne pourra pas leur être refusé. Mais cela reste un point à contester sur son principe.

La seule proposition raisonnable consiste à abroger l’alinéa 4 de l’art. 6 et l’alinéa 2 de l’art. 8:

Art. 6 Obligation de reprendre
4 L’obligation de reprendre gratuitement les composants visés aux al. 1 et 3
ne s’applique qu’envers des consommateurs finaux. Les personnes soumises
à l’obligation de reprendre peuvent refuser de reprendre gratuitement les
composants issus du démantèlement à des fins commerciales d’appareils. (à supprimer)

Art. 8 Obligation d’éliminer
2 Les appareils et les composants qui ne peuvent pas être remis à une per-
sonne soumise à l’obligation de reprendre, à une entreprise d’élimination ou
à un poste de collecte public doivent être éliminés, aux frais du détenteur et
dans le respect des exigences prévues à l’art. 9, par leur détenteur lui-même
ou par un tiers mandaté par celui-ci. (à supprimer)

En conclusion, je précise que le projet de révision de l’OREA vise principalement à introduire une taxe fédérale pour financer l’élimination des appareils électriques et électroniques (TEA), laquelle pourrait éventuellement coexister avec les systèmes privés existants (SWICO, SENS, SLRF) et permettre de contraindre quelques importateurs à contribuer aux coûts de la collecte et du recyclage dont ils sont aujourd’hui les “passagers clandestins” (leurs clients ne paient rien pour les services financés par les clients des entreprises qui jouent le jeu). Mais je n’ai pas d’avis tranché sur ce point qui me semble secondaire (cf. taux de collecte >95%).

Mais un élément me reste en travers de la gorge: un fabricant ou un importateur qui met sur le marché des produits deux fois plus durables ou sur le recyclage desquels il s’engage contractuellement (comme Rank Xerox qui vend des impressions et pas des imprimantes) non seulement n’en retire aucun avantage concurrentiel au niveau de la taxe anticipée, mais finance (par ses clients) l’élimination de produits concurrents qui ne sont pas éco-conçus. Le ver est malheureusement dans le fruit et le cadre législatif suisse reste favorable au gaspillage généralisé sous couvert “d’élimination écologique”.

Pour celles et ceux qui souhaiteraient approfondir le sujet, je fournis mes notes de lectures et mes réflexions sur la révision de l’OREA: 2020.07.05_Notes_révision_OREA  (PDF, 422 Ko).

2 réflexions au sujet de « L’OREA du gaspillage »

    • Hello Antoine,

      C’est surtout à relayer auprès de toutes les organisations consultées (je pense ici à la SIA, à l’UPIAV, etc.).

      Merci à toi d’utiliser des relais que je n’ai pas vraiment.

      Cordialement.

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