Économie circulaire: réparation et réemploi prioritaires?

(Source: https://longuevieanosobjets.ch/)

Dans son communiqué du 27.03.2023, Greenpeace écrit ceci: La révision de la LPE (20.433) est essentielle pour permettre de disposer des bases légales nécessaires au développement d’une économie circulaire à large échelle en Suisse, qui favorise l’allongement de la durée de vie des objets du quotidien et préserve ainsi les ressources. Le partage, la réutilisation, la réparation, le reconditionnement et, en dernière instance, le recyclage, doivent occuper une place centrale dans la loi. Ne reste plus qu’à espérer que cela favorise la réparation et permette aux réparateurs comme La Bonne Combine de récupérer des appareils usagés pour les remettre en état ou des pièces (trop coûteuses ou introuvables) pour en réparer d’autres…Par un communiqué du 15.02.2023, le Conseil fédéral annonçait son soutien à l’initiative parlementaire 20.433 “Développer l’économie circulaire en Suisse”. Dans sa prise de position détaillée, le Gouvernement appuie un certain nombre de points qui me tiennent particulièrement à cœur.

L’art. 10h, al. 2, P-LPE [ndlr: projet de révision de la loi sur la protection de l’environnement] permet au Conseil fédéral de soutenir financièrement des plateformes pour promouvoir l’économie circulaire et la préservation des ressources, de concert avec les cantons, les communes, les organisations économiques, scientifiques ou de la société civile. J’imagine que des initiatives dans le domaine de l’économie de la fonctionnalité, telles que Commown, pourraient être soutenues financièrement, car, dans ce modèle, le vendeur a un intérêt direct à ce que le produit dure le plus longtemps possible et pas le contraire.

Le Conseil fédéral approuve la mention expresse de la notion de réutilisation à l’art. 31b, al. 4, P-LPE. Il propose même d’introduire la réutilisation dans la disposition relative à la hiérarchie en matière de valorisation (art. 30d, al. 1, P-LPE) et de la mettre sur un pied d’égalité avec la valorisation matière. Évidemment, de mon point de vue, la réutilisation se place au-dessus de la valorisation matière. Cependant, dans un pays qui a bâti toute sa stratégie de gestion des déchets sur le recyclage et la “valorisation thermique” (incinération), c’est un premier pas significatif.

En revanche, le Conseil fédéral n’est pas favorable à une libéralisation du secteur de la gestion des déchets urbains qui fait l’objet d’un monopole des cantons et par conséquent des communes. Cependant, il demande à ce que lui soit accordée la compétence de définir par voie d’ordonnance les déchets urbains qui pourraient être collectés sur une base volontaire et sans obligation de concession. C’est précisément ce qu’il a fait, en 1998, avec l’OREA (Ordonnance sur la restitution, la reprise et l’élimination des appareils électriques et électroniques; RS 814.620) en vertu notamment de l’article 30b LPE (RS 814.01) en obligeant les commerces à reprendre après usage les appareils électriques et électroniques. A noter que la collecte et l’élimination sont financées par une contribution anticipée de recyclage payée par les consommateurs et reversée à SWICO et SENS pour éviter une taxe d’élimination anticipée fédérale telle que prévue à l’art. 32a bis LPE. Ainsi donc, les cantons ont non seulement vu leur monopole disparaître, mais les communes ont l’interdiction de laisser des gens récupérer des appareils ou des pièces, sous peine de lourdes sanctions (une amende contractuelle de 100’000.- est prévue dans les contrats de SWICO avec les déchetteries communales). La même interdiction vaut évidemment pour les commerces et plus encore les entreprises de recyclage mandatées par SWICO et SENS. Ainsi, les fabricants et importateurs du domaine peuvent s’assurer que les appareils usagés ne retourneront pas sur le marché et que seules les matières recyclables seront réutilisées, quant bien même la réutilisation serait dans la plupart des cas plus favorables du point vue des coûts et de la protection de l’environnement. Et tout ça aux frais des consommateurs! Un scandale que je dénonce depuis l’entrée en vigueur de l’OREA, il y a 25 ans.

Dans le même temps, l’Office fédéral de l’environnement a lancé une procédure de consultation en vue de modifier l’Aide à l’exécution état de la technique OREA (PDF, 3 MB, 03.03.2023), suite à la révision partielle de l’OREA (voir https://blogs.verts-vd.ch/marthaler/2020/lorea-du-gaspillage/).

Ce document rappelle les objectifs essentiels visés par la loi. Les objectifs de récupération peuvent par exemple porter sur les téléphones mobiles collectés séparément ou les éléments démontés en vue de leur réutilisation (propriétés fonctionnelles), les granulés d’aluminium pur à fondre (matériaux) ou les plastiques ne pouvant faire l’objet d’une valorisation matière utilisés comme combustible de substitution (énergie). Yes, je signe!

Cependant, après l’énoncé de ces beaux principes, on entre à nouveau dans un univers kafkaïen (c’est moi qui souligne):

En vertu de l’art. 7, al. 6, LPE, on entend par déchets « les choses meubles dont le détenteur se défait ou dont l’élimination est commandée par l’intérêt public ». La remise d’appareils et de composants par le détenteur et leur prise en charge par les personnes soumises à l’obligation de reprendre, les postes de collecte publics ou les entreprises d’élimination est l’expression de la volonté du détenteur de s’en défaire. Le fait de se défaire d’appareils et de composants en fait des déchets au sens de l’art. 7, al. 6, LPE. Ils deviennent dès lors des DEEE et sont de ce fait soumis à la législation sur les déchets. Ce principe vaut notamment pour les DEEE encore en état de fonctionnement qui pourraient être réutilisés, lesquels relèvent également des dispositions de l’OMoD, ainsi que de celles de la Convention de Bâle en cas d’exportation.
L’art. 9, al. 1 et 2, OREA prévoit que les personnes soumises à l’obligation de reprendre, les entreprises d’élimination et les postes de collecte publics sont tenus d’éliminer dans le respect de l’environnement les DEEE repris qu’ils ne transmettent pas à d’autres personnes soumises à cette obligation. Les personnes soumises à l’obligation de reprendre sont tenues d’éliminer les appareils et les composants qu’elles ne réutilisent pas, c’est-à-dire dont elles souhaitent se défaire. Elles peuvent en confier l’élimination à des tiers. La présente aide à l’exécution utilise exclusivement les termes
« réutiliser » et « préparation en vue de la réutilisation » pour les DEEE dont les propriétés fonctionnelles doivent être récupérées.

En fait, le problème est linguistique:

  • dans le langage courant, élimination signifie destruction,
  • mais au chapitre 4.3 Procédés d’élimination, on lit qu’une réparation, une récupération en fonderie ou une R1 en UIOM [ndlr: récupération de chaleur dans une usine d’incinération], par exemple, sont des traitements finaux donnant lieu à de nouveaux produits
  • de même, dans le langage courant, déchet signifie inutilisable mais souvent recyclable, alors que, dans le langage des juristes, déchet peut aussi vouloir dire produit réutilisable ou, pourquoi pas, même neuf (invendu ou retour au marchand).

Une petite recherche avec le terme “réutilisation” dans l’Aide à l’exécution en consultation montre 96 occurrences. Je reproduis ci-dessous le chapitre 5.1.3
Collecte d’appareils en vue de la réutilisation:

Les dispositions de l’art. 5 (obligation de restituer) et de l’art. 9 OREA (obligation d’éliminer) n’excluent pas explicitement la possibilité d’une réutilisation des DEEE collectés. La réutilisation à la suite de l’acte du consommateur final de se défaire de la chose signifie alors le nouvel emploi, dans sa fonction originelle ou dans un autre but, d’une chose d’abord qualifiée de déchet.
Les personnes soumises à l’obligation de reprendre, les postes de collecte publics ou les entreprises d’élimination qui souhaitent remettre sur le marché des appareils et des composants collectés aux fins d’une récupération de propriétés fonctionnelles doivent en particulier répondre aux exigences suivantes:
• Les DEEE démontés ou repris sont considérés comme des déchets jusqu’à ce qu’ils aient été préparés de telle sorte qu’ils puissent être à nouveau être mis sur le marché en qualité d’appareils ou de composants en état de marche.
• Le remettant du DEEE doit être informé de la possible réutilisation des appareils ou des composants.
• La collecte d’appareils et de composants à des fins de réutilisation doit impérativement être séparée de celle effectuée en vue d’une valorisation matière.
• Les DEEE stockés en vue d’une réutilisation ne doivent pas être librement accessibles, pour empêcher toute transmission incontrôlée de ces appareils et composants.
• Les DEEE destinés à une réutilisation doivent être préparés conformément aux exigences du repreneur, c’est-à-dire qu’ils doivent également être collectés, emballés et transportés dans le respect de ces dernières.
• Si des personnes soumises à l’obligation de reprendre ou des postes de collecte souhaitent exercer des activités en lien avec la réutilisation autres que la réception et le stockage provisoire d’appareils, ils doivent pour ce faire disposer d’une autorisation.
• En vue de garantir une préparation/un traitement respectueux de l’environnement et conforme à l’état de la technique, la transmission de DEEE à la suite de la collecte doit être réglée par contrat. En l’absence de règlement contractuel, ni les personnes soumises à l’obligation de reprendre ni les postes de collecte ne sont autorisés à remettre des appareils ou des composants de ces derniers en vue d’une réutilisation.
• Les repreneurs doivent disposer d’une autorisation OMoD cantonale incluant les préparations en vue de la réutilisation des déchets (contrôle, tri, nettoyage, réparation).
• Lorsque le repreneur des DEEE est étranger, il faut veiller à ce que l’exportation des appareils soit conforme aux prescriptions de l’OMoD, aux exigences de la Convention de Bâle et aux exigences mentionnées ici.
• La mise sur le marché (= réutilisation) de tels appareils et composants est soumise aux mêmes obligations que lorsqu’il s’agit d’appareils neufs, notamment en ce qui concerne l’obligation de reprendre gratuitement ou la protection des données.

Me voilà plutôt perplexe!… Alors que la révision de la LPE n’a pas encore été adoptée par l’Assemblée fédérale, on peut déjà télécharger le fichier PDF de la loi dans son état au 01.01.2024 sur https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1984/1122_1122_1122/fr!?! De même, l’OREA n’a pas encore été révisée (dans l’attente d’une révision de la LPE dans le sens de l’économie circulaire), mais la Confédération met en consultation un aide à l’exécution qui de toute évidence intègre les modifications qui devraient être apportées  dans la réutilisation!?!

Ne reste plus qu’à espérer qu’un référendum ne sera pas lancé contre la révision de la LPE…

3 réflexions au sujet de « Économie circulaire: réparation et réemploi prioritaires? »

  1. Merci pour l’analyse, mais je crois que je vais devoir demander à ChatGPT de me résumer tout cela… Faudra que je teste s’il a digéré toutes nos lois Suisse, une idée à creuser. (Attention les gens, ChatGPT est un super baratineur, ne pas le croire…) – C’est un sujet super important, dont on ne parle pas assez ! (Le recyclage, pas chatGPT, lui on en parle trop).

  2. Bonjour PaKo,
    En effet, les lois ne sont pas d’une clarté parfaite. Elles sont certes adoptées par des élus du Peuple, mais il y a toujours un juriste, spécialiste de la “légistique”, pour embrouiller l’affaire…
    Cordialement.

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