(Source: www.indicereparabilite.fr/appareils/ordinateur-portable)
Dans son magazine FRC Mieux choisir, la Fédération Romande des Consommateurs fournit quelques judicieux conseils permettant de réduire l’impact environnemental et social de nos appareils électroniques, dont 80% est imputable à leur fabrication (voir www.frc.ch/diminuer-le-lourd-impact-dun-smartphone/). Laurianne Altwegg, qui signe l’article relève, bien que l’indice de réparabilité ne soit pas obligatoire en Suisse, l’indicateur développé pour le marché français est parfois affiché. Elle ajoute que certaines entreprises – à l’instar de why! open computing – ont développé un assortiment sur la base de la réparabilité et de la longévité des produits et proposent les pièces pour les réparer.L’interview publiée sur la version en ligne de l’article a été pour moi l’occasion d’insister sur le fait que, dans ce domaine, l’obsolescence programmée résulte essentiellement des logiciels. Partant de là, le recours aux logiciels libres (Linux sur les ordinateurs et, par exemple, /e/OS sur les smartphones) permet de doubler ou tripler la durée de vie de ces appareils.
Comme la majeure partie des ordinateurs why! est commercialisée en France, l’entreprise est, depuis le 1er janvier 2021, dans l’obligation de publier un indice de réparabilité conformément à la loi française. Sans surprise, tous les ordinateurs portables why! se trouvent dans le top 10 des appareils les plus réparables (voir www.indicereparabilite.fr/appareils/ordinateur-portable).
Si une telle obligation était introduite en Suisse, why! aurait une longueur d’avance lui permettant de relancer ses ventes. Il faut dire que la plupart des gens qui ont fait l’acquisition d’un ordinateur durable why! au cours des 11 dernières années le font durer en le réparant ou en le mettant à niveau. De ce fait, les ventes baissent sensiblement depuis quelques années…
J’ai cherché à savoir ce qu’il en était de l’évolution de la législation européenne au sujet du droit à la réparation (voir https://blogs.verts-vd.ch/marthaler/2024/droit-a-reparation-avance-lue/) et plus spécifiquement de l‘indice de réparabilité. Mais, sur ce dernier point, j’ai été très déçu. En effet, la Directive UE 2024/825 adoptée le 28 février 2024 modifiant les directives 2005/29/CE et 2011/83/UE pour donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition verte grâce à une meilleure protection contre les pratiques déloyales et grâce à une meilleure information, n’envisage même pas une harmonisation du calcul d’un indice de réparabilité.
Certes, l’article 6 de la la directive 2011/83/UE est modifié en ajoutant une référence explicite à l’indice de réparabilité, mais sans aucune force obligatoire:
«i) le cas échéant, l’indice de réparabilité des biens;
j) lorsque le point i) n’est pas applicable et à condition que le producteur mette les informations à disposition du professionnel, des informations sur la disponibilité, le coût estimé et la procédure de commande des pièces de rechange nécessaires pour maintenir la conformité des biens, sur la disponibilité d’instructions de réparation et d’entretien ainsi que sur les restrictions en matière de réparation.».
Le nouvel article 22bis prévoit que la Commission européenne adopte une notice harmonisée et un label harmonisé, mais, selon ma compréhension, cette notice et ce label ne concernent pas l’indice de réparabilité. En résumé, la France ou l’Espagne sont autorisées à exiger un indice de réparabilité, alors que d’autres états membres pourraient imposer aux producteurs de fournir des informations pour permettre aux consommateurs de choisir un produit plus réparable, mais sans un indice synthétique aisément compréhensible.
La bataille est donc loin d’être gagnée et, en tant que citoyen franco-suisse, je viens de signer la pétition lancée par les Verts européens sur https://act.greens-efa.eu/fr/indicedereparabilite.
Et en Suisse?…
En octobre 2020, la députée verte vaudoise Sophie Michaud Gigon, par ailleurs Secrétaire générale de la FRC, a déposé une motion 20.4312 au Conseil national pour introduire un indice de réparabilité pour certains appareils électriques et électroniques.
Dans son avis du 3 février 2021, le Conseil fédéral écrit ce qui suit: En révisant l’ordonnance sur les exigences relatives à l’efficacité énergétique en mai 2020, la Suisse a transposé dans le droit fédéral les prescriptions renforcées de l’UE en matière d’efficacité dans l’utilisation des ressources et de l’énergie. Celles-ci portent entre autres sur les exigences relatives à la réparabilité, à la disponibilité des pièces détachées et des instructions ainsi que sur les obligations d’information. Il ajoute que la possibilité de promouvoir davantage la réutilisation d’appareils usagés est examinée par ailleurs dans le cadre de la révision en cours de l’ordonnance sur la restitution, la reprise et l’élimination des appareils électriques et électroniques (OREA, RS 814.620). Le
16 décembre 2022, le Conseil national a classé la motion, faute d’avoir achevé son examen dans un délai de deux ans.
Parallèlement, la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national a déposé, le 19.05.2020, l’initiative parlementaire 20.433 visant une modification de la loi sur la protection de l’environnement (LPE) dans le sens de l’économie circulaire.
Le projet publié le 09.01.2023 (voir https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2023/14/fr) était libellé ainsi s’agissant de l’information des consommateurs sur la réparabilité:
Art. 35i
1 Selon les nuisances à l’environnement générées par les produits et les emballages, le Conseil fédéral peut imposer des exigences à la mise sur le marché de ces derniers, concernant notamment:
a. la valorisation ainsi que la durée de vie, la disponibilité des pièces détachées et la réparabilité des produits;
b. la limitation des atteintes nuisibles et l’amélioration de l’efficacité dans l’utilisation des ressources tout au long du cycle de vie, et
c. l’étiquetage et l’information.
Une minorité, soutenue par les Verts, proposait:
Art. 35i
1 Selon les nuisances à l’environnement générées par les produits et les emballages, le Conseil fédéral pose des exigences à la mise sur le marché de ces derniers, concernant notamment:
a. la valorisation ainsi que la durée de vie, la disponibilité des pièces détachées et la réparabilité des produits;
b. la limitation des atteintes nuisibles et l’amélioration de l’efficacité dans l’utilisation des ressources tout au long du cycle de vie, et
c. l’uniformité, la comparabilité, la visibilité et la compréhensibilité de l’étiquetage et de l’information;
d. l’introduction d’un indice de réparabilité.
Une autre minorité – on devine qui – proposait d’abroger purement et simplement l’art. 35i…
Le texte finalement adopté par les deux chambre le 15.03.2024 est ainsi rédigé:
Art. 35i
1 Selon les nuisances à l’environnement générées par les produits et les emballages, le Conseil fédéral peut définir des exigences applicables à la mise sur le marché de ces derniers, concernant notamment:
a. la valorisation ainsi que la durée de vie, la disponibilité des pièces détachées et la réparabilité des produits;
b. la limitation des atteintes nuisibles et l’amélioration de l’efficacité dans l’utilisation des ressources tout au long du cycle de vie;
c. l’uniformité, la comparabilité, la visibilité et la compréhensibilité de l’étiquetage et de l’information;
d. l’introduction d’un indice de réparabilité.
Inutile de consulter le texte de la LPE sur https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1984/1122_1122_1122/fr, car un délai référendaire court jusqu’au 04.07.2024.
En conclusion de ma petite enquête, tout porte à croire que le Conseil fédéral va exiger un indice de réparabilité. Ne reste plus qu’à espérer qu’il reprenne le modèle adopté par la France en 2020 (même si critiquable à certains égards) et ne réinvente pas la roue pour éviter que l’indice de réparabilité d’un même produit varie d’un pays à l’autre.
Le risque existe cependant que le Conseil fédéral, pour arranger les petites affaires des fabricants, ne noie le poisson de la réparabilité dans l’indice d’efficacité énergétique européen. Comme le relève Commown, principal revendeur why! en Europe, un smartphone pourra être totalement irréparable et pas durable, mais avoir note A en vert sur l’étiquette, si sa consommation électrique est faible (voir https://forum.commown.coop/t/recit-dune-bataille-perdue/2927). Comme rappelé en introduction, 80% de l’impact sur l’environnement de ce genre de produits résultant de leur fabrication, la cible ne sera tout simplement pas atteinte!